Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part du gâteau dans le cadre de l'édition 1995 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Les résultats obtenus à ce concours révèlent que les montants octroyés à l'Université de Sherbrooke sont deux fois plus importants qu'aurait pu le laisser présager la taille de l'établissement. Pour souligner cette réussite, LIAISON présentera, au cours des prochaines semaines, les 13 récipiendaires de ces subventions.

Stress et troubles du comportement

Tout se joue avant six ans

Tout le monde se souvient du livre Tout se joue avant six ans qui a servi de bible à bien des jeunes parents dans les années 70. Même si le best-seller de Fitzhugh Dobson a depuis été maintes fois contesté, son titre, lui, demeure d'actualité.

La preuve est faite que plus une intervention auprès d'enfants présentant des problèmes de comportement est réalisée précocement, plus ses chances de succès sont grandes. Marc Bigras, professeur-chercheur au Département d'éducation spécialisée, tient à nuancer ces propos.

Selon lui, même si les premières années de vie sont très importantes, il est exagéré de prétendre que <<tout>> se joue avant six ans. Il préfère recourir à une métaphore tirée du golf pour illustrer ce constat : <<Jamais un joueur de golf ne prétendra que tout se joue sur le tertre de départ. Il sait qu'un joueur peut toujours se sortir du bois après un mauvais coup de départ. Mais il sait aussi qu'il est beaucoup plus simple de ne pas envoyer sa balle dans le bois.>>

De nombreuses études démontrent que chaque dollar investi dans la prévention à l'âge préscolaire permet d'économiser jusqu'à sept dollars en interventions de toutes sortes à l'adolescence et à l'âge adulte. Ainsi, en remettant une subvention de 47 500 $ à Marc Bigras pour les trois prochaines années, le FCAR pourrait permettre des économies substantielles à la société québécoise.

Malgré le fait que tout le monde s'entende sur les retombées positives de l'intervention précoce, ces programmes ne sont pas parfaits. Par exemple, certains enfants semblent oublier après quelques années ce qu'ils ont appris dans le cadre de programmes d'intervention. C'est notamment le cas avec les enfants agressifs et retirés socialement. Marc Bigras croit que l'une des causes de cette non-rétention est que l'intervention ne se fait que dans le milieu préscolaire. <<Comme plusieurs, dit-il, nous pensons que des interventions devraient aussi être faites dans les familles.>>

C'est à ce moment que Marc Bigras et son équipe entrent en jeu en se demandant sur quelles cibles, au juste, il serait efficace d'agir. <<Nous voulons examiner la qualité des échanges à l'intérieur de la famille, afin de mieux comprendre les mécanismes familiaux qui favorisent ou non le développement optimal de l'enfant, explique le chercheur. Il est difficile de programmer une intervention, sans auparavant avoir une idée de ce qui se passe dans une famille vulnérable.>>

L'idée à la base du projet de Marc Bigras est d'étudier les cas d'agressivité et de retrait social en considérant la régulation intrapersonnelle et interpersonnelle des stress dans la famille. L'hypothèse générale prévoit que l'intégration sociale de l'enfant est plus difficile lorsque la faible capacité d'autorégulation des stress, tant pour l'enfant que pour le parent, s'ajoute à des stress interpersonnels élevés dans l'environnement familial.

Au fil de la recherche, 90 paires mère-enfants seront invitées à participer au programme de recherche. D'âge préscolaire, habitant la grande région de Sherbrooke, ces jeunes auront au préalable été évalués à la garderie comme des enfants compétents, agressifs ou encore retirés socialement. La capacité de régulation du stress sera évaluée en laboratoire en soumettant l'enfant et la mère à des situations quelque peu stressantes. Leur comportement sera alors analysé par des spécialistes et leur tension musculaire mesurée par électromyographie.

De type fondamental, cette recherche devrait permettre de comprendre pourquoi les enfants et les mères arrivent plus ou moins bien à réguler leur stress et pourquoi les mêmes problèmes d'autorégulation du stress engendreront l'agressivité chez certains jeunes et le retrait chez d'autres.

Marc Bigras rappelle que c'est la combinaison du tempérament de l'enfant, des caractéristiques des interactions à l'intérieur de la famille et du contexte social dans lequel cette famille évolue qui sont responsables de l'agressivité et du retrait social de l'enfant. Comme le tempérament d'un enfant est quelque chose de stable, et comme un chercheur universitaire n'a que peu de prise sur le contexte social, Marc Bigras a décidé de s'attaquer à l'autre cause : les interactions familiales. <<On ne s'intéresse pas à la famille parce que c'est la responsable de tous les maux, mais c'est à peu près le seul agent sur lequel les psychoéducateurs peuvent avoir un certain impact>>, note-t-il.

En plus de l'aide du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du FCAR, Marc Bigras bénéficie d'autres subventions qui lui permettent de faire d'autres types de recherches, notamment avec le Groupe de recherche en intervention psychosociale, qui compte des chercheuses et chercheurs de partout au Québec, et une équipe de recherche, appelée Écologie familiale, comptant des chercheurs de l'Université Purdue, en Indiana, et de l'Université du Maine.

Bruno Levesque

Vignette

Bénéficiaire d'une subvention du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du FCAR, Marc Bigras espère viser juste et mieux comprendre les liens existant entre la capacité de gérer le stress à l'intérieur des familles et les problèmes de comportement comme l'agressivité et le retrait social chez les enfants d'âge préscolaire.