Élégie pour une université défunte

Voici un résumé d'une conférence prononcée à la Faculté d'éducation par Jean-Pierre Kesteman, vice-recteur à l'enseignement. Le texte intégral de cette conférence qui s'intitule Élégie pour une université défunte se trouve dans la rubrique Forum à l'adresse suivante : http://www.usherb.ca. Les personnes qui souhaitent réagir à cette intervention peuvent envoyer à LIAISON des textes ne dépassant pas 30 lignes et signés que nous publierons dans la rubrique Au babillard.

Dans sa conférence, Jean-Pierre Kesteman annonce la mort prochaine d'une université. Cette université condamnée à terme, c'est l'université de masse, telle qu'elle s'est développée dans les 25 dernières années au Québec comme dans la plupart des pays développés. Ce qui a été sa force par rapport aux universités traditionnelles d'avant 1960 est en passe de constituer d'importantes faiblesses.

Si on passe en revue les caractéristiques de cette université, il faut souligner les tendances suivantes. L'université de masse est accessible à un grand nombre de personnes, mais elle s'est surspécialisée. La formation qu'elle offre aux trois cycles a été transformée par le marché du travail : cette formation est axée sur l'intégration rapide au marché et essentiellement utilitaire. L'étudiante et l'étudiant, aux prises avec des difficultés financières, n'a plus le temps d'apprendre, de faire, d'être. Quant au corps professoral, il s'est diversifié. Il est désormais <<pluriel>>, mais a tendance à éviter l'enseignement de masse au premier cycle au profit de la recherche ou d'activités extérieures. Le professeur de carrière de l'université québécoise serait-il le grand absent de la salle de cours? Et tandis que les universitaires continuent à tenir un discours sur la qualité, la pratique est peut-être trop égalitariste et laxiste.

Cette université malade est de plus aux prises avec une triple contagion. Un virus économique, ce que le conférencier appelle <<l'université-marchandise>>, qui soumet désormais l'université aux lois de la productivité, aux philosophies de gestion de l'entreprise moderne, à la rationalisation des finances publiques, aux lois de la concurrence et de la spécialisation. Constatant que pour survivre, les universités deviennent de plus en plus dépendantes du monde des affaires, le conférencier manifeste son inquiétude devant l'apparition prévisible de compagnies privées de la formation, qui vont concurrencer les universités dans le secteur très lucratif de la formation continue. Les universités sont sans doute à la veille de perdre le monopole de l'émission de diplômes...

Un deuxième virus, technologique celui-ci, est lié au développement et à la combinaison des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ces technologies, par leur ubiquité et leur universalité, sont capables de délocaliser l'accès à la formation supérieure et d'attaquer le concept de l'université-campus comme lieu physique privilégié de la formation. Ensuite, par leur interactivité et leur convivialité, elles favorisent un mode nouveau et direct d'accès à l'information et au savoir. Les professeures et professeurs, intermédiaires traditionnels entre le savoir et les étudiantes et étudiants, seront-ils court-circuités?

Enfin, un virus idéologique gagne les universités. Le milieu universitaire est de plus en plus la cible de critiques qui remettent en question sa place et sa valeur. Ces trois virus combinés risquent de faire mourir une université déjà malade de certains excès.

Pour sortir de cette chronique d'une mort annoncée, les universitaires doivent regarder en face un certain nombre de questions et s'adapter d'urgence à un nouveau mode d'organisation de la formation supérieure, plus souple, plus concurrentiel, avec la mise en équipe de talents professoraux diversifiés. L'université de demain aura sans doute des formations initiales de premier cycle moins spécialisées, des formations continues plus souples, visera à utiliser les techniques nouvelles de l'information pour accompagner les étudiantes et les étudiants dans la transformation de l'information en savoir, devra favoriser un meilleur équilibre entre l'apprentissage et l'enseignement. Au-delà de tout cela, c'est la nécessité pour les professeures et les professeurs de retrouver une démarche qui tienne compte d'un rapport humain avec les étudiantes et les étudiants, ces autres adultes qui cheminent comme eux sur le chemin de la formation permanente.

En terminant, Jean-Pierre Kesteman a invité la communauté universitaire à prendre conscience des forces et des acquis originaux de l'Université de Sherbrooke dans le réseau et à revivifier les lieux d'échanges intellectuels sur ces questions dans les mois à venir.