Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part du gâteau à l'occasion de l'édition 1995 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Les résultats obtenus à ce concours révèlent que les montants octroyés à l'Université de Sherbrooke sont deux fois plus importants qu'aurait pu le laisser présager la taille de l'établissement. Pour souligner cette réussite, LIAISON présentera, au cours des prochaines semaines, les 13 récipiendaires de ces subventions.

Yuki Shiose retourne à la petite école

Pour Yuki Shiose, docteure en anthropologie, professeure et chercheuse à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie, la lecture des grands théoriciens, la réflexion et l'écriture ne suffisent pas pour comprendre le monde. Aussi a-t-elle décidé de retourner à l'école. Depuis quelque temps déjà, elle visite régulièrement des écoles primaires montréalaises, québécoises et même japonaises. Elle s'assied avec les enfants, fait avec eux les exercices proposés, discute avec eux, dans le but de mieux comprendre le monde et, surtout, d'expliquer comment nos perceptions de ce qu'il est se construisent en nous.

À la naissance, les bébés ne savent pas s'ils sont japonais, turques, népalais ou québécois. De nombreux chercheurs et chercheuses tentent depuis longtemps de comprendre comment se crée ce sentiment d'appartenance à une culture et à une nation. Ce phénomène de construction de l'identité culturelle et nationale demeure assez mystérieux.

C'est pour lever le voile sur cette question que Yuki Shiose a fait une demande de subvention au Fonds pour la formation de chercheurs et l'aide à la recherche. Avec les 45 000 $ qui lui ont été versés pour trois ans, elle compte, avec l'aide d'assistants de recherche, réaliser une étude comparative entre le Japon et le Québec sur la construction de l'identité culturelle. Pour ce faire, elle visitera des jeunes de 9 à 12 ans dans leur classe à Montréal, Québec et Tokyo.

Pourquoi l'école?

<<L'école est le lieu où les enfants apprennent à lire, à écrire et à compter, bien sûr, mais ils y apprennent aussi à devenir membres à part entière de la société>>, explique Yuki Shioze. À l'école, les enfants s'initient aux règles du jeu social à travers certains rites animés par l'enseignante ou l'enseignant. C'est là que se déroule une bonne partie du processus par lequel les enfants deviennent des citoyennes et des citoyens. De fait, l'école constitue le lieu où la vision gouvernementale du monde entre en contact avec la vision personnelle des enfants. De plus, de nombreuses études démontrent que c'est entre 9 et 12 ans que les enfants sont les plus sensibles à la figure d'autorité dans le processus de socialisation nationale et culturelle.

L'oeil non attentif ne remarque plus ces petits détails, mais l'école est un lieu fort riche en habitudes, en règles et en coutumes. L'expérience de recherches antérieures a permis à Yuki Shiose d'adopter une méthode qui vise à bien observer ces détails très révélateurs tout en réduisant au minimum l'impact de sa présence en classe. En participant quotidiennement à l'ensemble des activités de la classe, en établissant dès le départ un contact chaleureux avec l'enseignante ou l'enseignant, la chercheuse fait en sorte que les hôtes s'habituent rapidement à sa présence. Elle peut ainsi voir les comportements et les rites se manifester comme si elle était absente. <<Je me mets toujours à la place des enfants, explique-t-elle. Je fais exactement la même chose qu'eux, je participe avec eux. Au début, ma présence attise leur curiosité, mais ils oublient rapidement que je ne suis pas tout à fait comme eux. Au bout de quelque temps, les enfants commencent à m'expliquer leur vocabulaire propre, exactement comme si j'étais une enfant venue de l'étranger.>>

Et pourquoi le Japon?

Yuki Shiose observe la jeunesse québécoise depuis quelques années déjà, pour poursuivre ses recherches, mieux distinguer ce qui était propre aux enfants québécois et ce qu'ils partageaient avec d'autres cultures, il lui fallait un groupe de comparaison. Fort différente à certains points de vue, mais néanmoins semblable à d'autres, notamment en ce qui concerne la relative modernité et l'importance accordée à l'école, la société japonaise était tout indiquée.

Avec cette étude comparative, Yuki Shiose poursuit plusieurs objectifs. Elle veut d'abord identifier les processus de socialisation culturelle et nationale et révéler comment le gouvernement de ces deux sociétés construisent leurs politiques culturelles, comment celles-ci sont appliquées à l'école et comment les enseignantes et enseignants se l'approprient.

Les recherches de l'anthropologue visent aussi la formation d'étudiantes et d'étudiants inscrits à la maîtrise ou au doctorat en sciences humaines des religions et, comme toute recherche universitaire, à la diffusion des résultats grâce à des publications et à des communications scientifiques.

Mais c'est quand elle évoque le dernier objectif de sa recherche que les yeux de la jeune chercheuse brillent le plus. En effet, étant donné les contacts que ses travaux lui permettront de faire au Japon, elle compte participer à la création d'un réseau de recherche québéco-japonais dans son domaine. Avec la passion pour la recherche et pour les jeunes qui semble animer l'anthropologue, ne vous surprenez pas si d'ici peu, vous rencontrez sur le campus un groupe d'anthropologues japonais venus étudier les processus de socialisation culturelle des Québécoises et Québécois.

Bruno Levesque

Vignette

Si la planète est petite, les différences culturelles, elles, semblent parfois grandes. Chercheuse à la Faculté de théologie, Yuki Shiose tente par ses recherches de comprendre comment les enfants intègrent la culture de la nation où ils grandissent.