Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part du gâteau à l'occasion de l'édition 1995 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation des chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Les résultats obtenus à ce concours révèlent que les montants octroyés à l'Université de Sherbrooke sont deux fois plus importants qu'aurait pu le laisser présager la taille de l'établissement. Pour souligner cette réussite, LIAISON présentera, au cours des prochaines semaines, les 13 récipiendaires de ces subventions.

Jeune chercheur au Département de chimie

Grégory Jerkiewicz totalement absorbé par sa recherche

En électrochimie, les phénomènes d'adsorption et d'absorption sont à la fois très connus et fort mal compris. Tous les spécialistes de ce domaine connaissent l'existence de ces phénomènes, mais aucun ne sait tout à fait comment les choses se passent vraiment.

Grâce à la subvention de 42 000 $ que le Fonds FCAR leur a octroyée, Grégory Jerkiewicz et sa petite équipe de quatre chercheurs entendent faire avancer les connaissances dans ce domaine, en travaillant sur les interactions entre le soufre et l'hydrogène dans les processus d'adsorption et d'absorption. <<Nous cherchons à comprendre ce qui se passe quand, à la surface d'une électrode, se retrouvent des atomes d'hydrogène et des atomes de soufre adsorbés, résume le chercheur. Est-ce que la présence de soufre a une influence sur l'énergie de liaison entre l'atome d'hydrogène adsorbé et la surface de métal?

<<Nous faisons de la recherche fondamentale pour déterminer la force motrice de ce processus, explique ce spécialiste des sciences électrochimiques des surfaces. Si nous arrivons à bien comprendre quelques systèmes modèles comme celui du soufre avec les électrodes de platine et de rhodium, je pense que nous serons capables, d'ici quelques années, de cerner l'ensemble du problème.>>

Petite leçon de chimie

L'adsorption est le phénomène par lequel des molécules d'un gaz ou d'une substance en solution sont retenues à la surface d'un solide. En milieu électrochimique, il s'agit le plus souvent d'atomes d'hydrogène qui se lient à la surface d'une électrode. Une fois qu'il est adsorbé, l'hydrogène peut aussi être absorbé, c'est-à-dire qu'il n'est pas retenu à la surface mais bel et bien attiré à l'intérieur de l'électrode.

Quelle est l'énergie des liaisons ainsi créées? De quelle façon la présence de soufre peut-elle modifier cette énergie? Qu'est-ce qui explique que des atomes d'hydrogène sont parfois adsorbés et d'autres fois absorbés? Telles sont les questions auxquelles tentent de répondre Grégory Jerkiewicz et son équipe.

Quelques éléments de réponses commencent déjà à émerger : <<L'hydrogène peut être adsorbé de deux façons. La liaison chimique peut être multicoordonnée ou se faire directement sur un atome de l'électrode. Nous avons réussi à démontrer que, peu importe le phénomène d'adsorption produit, les atomes d'hydrogène peuvent être absorbés, mais qu'ils le seraient à des potentiels différents. Ensuite, nous avons développé une théorie qui explique les mécanismes déclenchés au point de vue atomique et démontré que la présence de soufre faisait diminuer l'énergie de liaison entre l'atome d'hydrogène adsorbé et la surface de métal.>>

Mais le travail est loin d'être terminé. Il reste à comprendre comment certaines molécules coadsorbées avec l'hydrogène peuvent influencer l'énergie de la liaison entre le métal et l'hydrogène et, surtout, comment ces molécules peuvent modifier la force motrice de l'absorption et quel rôle elle joue dans le passage de l'hydrogène adsorbé à l'hydrogène absorbé. <<Généralement, l'hydrogène est absorbé quand l'énergie de liaison entre l'hydrogène et les atomes de métal à l'intérieur est plus grande que l'énergie de liaison entre l'hydrogène et les atomes de surface, explique Grégory Jerkiewicz. Donc, nous concluons que plus la liaison à la surface est faible, plus les possibilités d'absorption sont élevées. Cette réflexion nous amène à poser l'hypothèse que la présence de soufre augmente les possibilités d'absorption. Mais, pour l'instant, ça demeure encore une hypothèse.>>

Des applications concrètes

Si elles sont fondamentales et peuvent sembler abstraites, les recherches menées par l'équipe de Grégory Jerkiewicz peuvent avoir des applications pratiques. Le chercheur donne l'exemple des hydrures métalliques entrant dans la fabrication de certaines piles. Ce sont des alliages métalliques contenant de l'hydrogène absorbé qui, lorsque la pile est en fonction, ressort du métal de l'électrode pour dégager de l'énergie. Comme la quantité d'électricité produite par la pile est déterminée par la rapidité de la réaction, des travaux comme ceux réalisés à Sherbrooke pourraient contribuer à l'amélioration des performances de ces piles.

Dans un autre domaine, il peut arriver que l'hydrogène soit absorbé alors que ce n'est pas du tout souhaitable. Cela arrive par exemple en métallurgie. L'hydrogène est attiré parce que le métal est chargé négativement. Il peut par la suite être absorbé et, si le métal contient du carbone (ce qui est très courant), l'hydrogène se joint au carbone pour former du méthane. Les molécules de méthane se regroupent entre les cristaux métalliques pour former des bulles qui font augmenter la pression dans ces régions du morceau de métal ou d'alliage jusqu'à 100 fois plus qu'en situation normale, ce qui rend le métal plus fragile. <<Une fois nos travaux terminés, nous pourrons dire aux gens de l'industrie quelle substance ils devraient déposer à la surface de leurs alliages pour réduire grandement les possibilités d'absorption de l'hydrogène.>>

En attendant ceS applications pratiques, Grégory Jerkiewicz fait connaître les résultats de ses recherches à ses collègues chimistes. Ses travaux ont ainsi fait la première page du numéro de février de Langmuir, la prestigieuse revue que l'American Chemistry Society consacre à la chimie des surfaces colloïdes.

Bruno Levesque