Les chercheuses et chercheurs de l'Université de Sherbrooke ont obtenu beaucoup plus que leur part du gâteau dans le cadre de l'édition 1995 du Programme d'établissement de nouveaux chercheurs du Fonds pour la formation des chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR). Les résultats obtenus à ce concours révèlent que les montants octroyés à l'Université de Sherbrooke sont deux fois plus importants qu'aurait pu le laisser présager la taille de l'établissement. Pour souligner cette réussite, LIAISON présentera, au cours des prochaines semaines, les 13 récipiendaires de ces subventions.

Ça chauffe dans le Nord

C'est connu, une grande partie du territoire québécois est quasiment inhabitée. Au nord du 52e parallèle, la densité de la population est plutôt faible. C'est le Grand Nord, terrain des grands espaces, royaume de l'épinette noire.

Car si le Nord est un pays de neige et de froid, il est aussi un pays de grandes forêts. Ce sont ces forêts, et l'effet sur elles des incendies, qui Font l'objet des recherches de Marie-Josée Fortin, professeure au Département de biologie de la Faculté des sciences, et d'un collègue de l'Université Laval, Serge Payette.

La chercheuse a reçu une subvention de 55 000 $ étalée sur trois ans pour réaliser une étude sur la dynamique spatiale de la régénération forestière après feu dans le Nord québécois. Elle étudie un secteur forestier situé entre le 55e et le 59e degré de latitude nord, soit quelque 600 kilomètres au nord de Chibougamau, pour tenter de mettre à jour les principaux facteurs qui influencent l'avènement des feux de forêt, leur taille, leur fréquence et la rapidité avec laquelle les forêts brûlées vont se régénérer.

Quand on demande à Marie-Josée Fortin pourquoi elle a choisi un territoire si lointain pour effectuer ses recherches, elle parle de l'importance de la ressource que constitue la forêt boréale, de la diversité des milieux étudiés : <<Au sud du territoire que nous couvrons, le pin gris pousse encore, donne-t-elle comme illustration. Au coeur de notre territoire, il n'y a pour ainsi dire que de l'épinette noire. Au Nord, les épinettes noires ne sont plus des arbres, mais des arbustes bas et rabougris appelés krummholz.>>

L'oeuf ou la poule

La plupart des gens voient les feux de forêt comme un fléau. Dans le cas des forêts boréales, composées en grande majorité d'épinettes noires, ils sont pourtant un mal nécessaire, selon Marie-Josée Fortin. L'épinette noire est une espèce à cônes semi-sérotineux. Les cônes sont recouverts d'une sorte de cire, cire qui doit fondre pour que les graines soient libérées.<<Alors les forêt d'épinettes noires ont besoin du feu pour se régénérer, explique la biologiste. Sinon, elles deviendraient trop vieilles et finiraient par mourir.>> De même, le feu a besoin des épinettes pour se propager. Sans combustible, il n'y a pas de feu.

Cette double dépendance est à la base des travaux de Marie-Josée Fortin. Elle lui permet par exemple de poser l'hypothèse qu'un réchauffement climatique de cette région entraînerait une augmentation des feux de forêt dans la zone la plus nordique de territoire qu'elle étudie. Plus les arbres grossiraient, plus les forêts deviendraient denses et plus le feu pourrait s'y propager facilement.

Pour ses recherches actuelles, la biologiste s'intéresse surtout à ce qu'elle appelle le régime de feu, c'est-à-dire la fréquence de ces feux sur une même zone. Car ce régime, s'il est trop rapide, ne laisse pas le temps à la forêt de se régénérer. À l'inverse, un régime de feu trop lent pourrait conduire à un vieillissement de la forêt. Comme les arbres, de la même manière que les humains, voient leur capacité de se reproduire réduire à partir d'un certain âge, un trop grand nombre d'années sans feu pourrait causer la mort d'une forêt.

Tout un programme

Pour mieux comprendre la dynamique spatiale des feux et leur effet sur la régénération des forêts boréales, Marie-Josée Fortin compte d'abord quantifier la superficie et la forme des forêts d'épinettes noires sur le territoire qu'elle a choisi d'étudier. Elle compte par la suite mesurer divers facteurs susceptibles de modifier la réaction des forêts au feu : relation entre la superficie et le périmètre, pente, exposition, élévation. Par la suite, elle procédera au calcul des probabilités d'incidences et de rotation des feux à partir de la cartographie des feux de 1900 à1957, validera ce modèle statistique avec les données sur les feux de 1958 à1984. En élaborant son modèle statistique, Marie-Josée Fortin quantifiera l'importance relative de chacune des variables étudiées dans le processus de régénération des forêts, ce qui permettra non seulement de mieux comprendre le phénomène, mais aussi d'aider à l'aménagement et à la gestion de la forêt boréale.

Bruno Levesque

Vigentte

Marie-Josée Fortin, professeure au Département de biologie, étudie l'effet des incendies sur les forêts.