Voici le résumé d'une conférence prononcée par Jean-François Malherbe, doyen de la Faculté de théologie. Ce texte a été reproduit dans le numéro de janvier de la revue de l'Ordre des infirmiers et infirmières du Québec. Les personnes qui souhaitent réagir à cette intervention peuvent envoyer à LIAISON des textes ne dépassant pas 30 lignes et signés que nous publierons dans la rubrique Au Babillard.

Éthique et fragilité des certitudes

Serions-nous condamnés au doute à perpétuité? Jean-François Malherbe, éthicien et doyen de la Faculté de théologie, l'affirme : l'incertitude est inhérente à la condition humaine.

Il propose du même souffle le recours à l'éthique <<pour démêler les vraies certitudes des fausses>>. Et il s'inspire de sa vaste expérience clinique pour illustrer comment l'éthique permet d'éclairer des situations délicates.

Charles et le choc des valeurs

Atteint d'une maladie mortelle, Charles peut espérer une rémission s'il accepte de subir une intervention chirurgicale. Avant de donner son consentement, il exige que le chirurgien s'engage à ne pas pratiquer de transfusion sanguine pendant l'opération. Témoin de Jéhovah, Charles est convaincu que recevoir du sang, <<c'est perdre son identité, perdre son âme>>. Cette conviction heurte de plein fouet celle des médecins.

Formés à préserver la vie, ceux-ci savent que Charles peut mourir pendant l'opération s'il fait une hémorragie importante. C'est l'impasse. <<Dans cette situation, explique Jean-François Malherbe, le conseiller en éthique se doit d'être polyglotte : de traduire la position de Charles dans le langage du chirurgien, et la position du chirurgien dans le langage de Charles.>> Le malade doit comprendre que son médecin a l'impression de se renier s'il ne peut lui donner tous les soins requis. Et le médecin doit assumer que la position de Charles s'enracine dans une foi qui donne un sens à sa vie.

Chantal, l'interlocutrice absente

Immobilisée depuis des mois sur un lit d'hôpital, Chantal attend une transplantation rénale. Son état s'aggrave rapidement. Le miracle attendu survient : les médecins de l'urgence viennent de diagnostiquer la mort cérébrale chez un jeune accidenté de la route. Demi-miracle, en fait, car ce donneur potentiel était homosexuel et toxicomane, peut-être donc infecté par le virus du sida. Prendre le temps de vérifier cette hypothèse pourrait signifier condamner Chantal à mourir entre-temps. Et tenter la greffe... Réunis en présence de l'éthicien, les médecins s'affrontent en deux clans : l'un préconise la greffe immédiate, et l'autre s'y oppose. Finalement, une infirmière excédée leur fait remarquer que personne n'a demandé l'avis de Chantal, la principale intéressée...

Corine ou le <<moindre mal>>

Après six essais de fécondation in vitro infructueux, Corine est enfin enceinte. À l'hôpital universitaire où elle vient d'être admise, l'équipe de soins, loin de se réjouir, traverse un moment de forte tension : les examens montrent que la jeune femme porte... six embryons. Or jamais cela n'aurait dû se produire. En effet, le développement simultané de six embryons est quasi impossible, et la mère pourrait les perdre tous. Une <<réduction embryonnaire>> - terme pudique pour désigner la suppression de certains embryons - permettrait d'augmenter les chances de survie des autres. Convoqué à une réunion de l'équipe soignante, l'éthicien se retrouve au centre d'un débat houleux axé sur la recherche de <<coupables>>. Finalement, les participants reconnaissent que, devant un fait accompli qui aurait pu être évité, il fallait minimiser les dégâts plutôt que de chercher des coupables.

Respect et discussion critique

Après avoir demandé du temps pour réfléchir, Charles a informé son médecin qu'il renonçait à toute opération. Il est mort quelques semaines plus tard. Et Chantal? Des infirmières lui ont demandé lequel des deux risques elle préférait courir. Elle a choisi la greffe. Dans le cas de Corine, les infirmières <<ont catégoriquement refusé de réparer ce qu'elles considéraient comme une faute médicale grave>>, révèle Jean-François Malherbe. C'est donc le médecin-chef du service qui lui a appris la nouvelle et a discuté avec elle et son conjoint des solutions possibles. Le couple a opté pour la solution du <<moindre mal>>, l'élimination de quatre embryons pour accroître les chances de survie des deux autres.

Chaque situation a trouvé sa conclusion grâce à un climat de respect favorisé par la <<discussion politique>>. Bien menée, celle-ci conduit à des consensus pouvant orienter l'action. À la condition, insiste l'éthicien, qu'elle soit correctement balisée. Les règles de base sont simples : premièrement, ne jamais manipuler l'autre, lui mentir ni faire usage de violence verbale ou physique; deuxièmement, chaque fois qu'un conflit survient entre des convictions antagoniques, chercher à les dépasser en allant vers la plus grande universalité possible; troisièmement, toujours chercher un consensus qui satisfasse chacune des parties; quatrièmement, si le consensus s'avère impossible, tenter au moins de s'entendre... sur les points de désaccord et de dégager un compromis.

C'est ainsi que, <<par déplacements successifs dans le champ de la discussion critique, nos fausses certitudes se défont, en même temps que des certitudes moins fragiles se construisent, conclut Jean-François Malherbe. Un exercice salutaire, qui fait du bien à l'âme. À pratiquer sans restriction!>>

Hélène Lévesque (tiré d'une conférence de Jean-François Malherbe)

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L'incertitude est inhérente à la condition humaine, affirme Jean-François Malherbe, doyen de la Faculté de théologie.