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Vulgarisation du premier projet de recherche d'Acuité Québec

Une bibliothèque… à base d’ADN?

Photo : Michel Caron

Imaginez un instant que le contenu entier d’une bibliothèque publique puisse tenir dans une minuscule éprouvette de quelques microlitres. À l’intérieur de cette dernière, plusieurs millions, voire des milliards de livres tiennent, encodés et méticuleusement identifiés. C’est ce que le projet Développer des chimiothèques innovantes codées par l'ADN et supportées par l'IA de la professeure Anne Marinier de l’Institut de recherche en immunologie et en cancérologie de l’Université de Montréal (IRIC) propose dans le cadre du consortium Acuité Québec.

Depuis un peu plus de douze mois, Louis Vaillancourt, chimiste médicinal, coordonne une équipe composée de trois chimistes médicinaux, d’un expert en modélisation moléculaire et de quelques partenaires privés. Au sein du laboratoire de la professeure Anne Marinier, l’équipe travaille à révolutionner la librairie de molécules traditionnelles de l’IRIC grâce à l’ADN et à l’intelligence artificielle (IA).

Mais qu’est-ce qu’une librairie de molécules? Si ce nom pourrait facilement inspirer à certains non-initiés une grande pièce dotée de plusieurs étagères poussiéreuses sur lesquelles reposent des milliers de molécules, il s’agit en fait d’une fiole de quelques microlitres contenant l’ensemble des molécules détenues par l’IRIC.

Une bibliothèque déjà bien garnie

À l’heure actuelle, la librairie de l’IRIC compte environ 145 000 produits différents (composés). Si ce chiffre peut impressionner, Louis Vaillancourt relativise rapidement les choses :

Notre librairie actuelle est sans commune mesure avec le nombre de produits habituellement présents dans une librairie DEL. Dans une librairie utilisant les brins d’ADN et l’intelligence artificielle, on peut souvent trouver plusieurs millions voire des milliards de composés différents et d’une grande variété. C’est le cas de plusieurs grandes librairies aux États-Unis et en Asie, explique le coordonnateur du projet.

L’objectif du premier projet du consortium Acuité Québec est donc d’augmenter le nombre de composés dans la librairie en se procurant de nouveaux livres classiques (molécules de base) pour la garnir grâce à un nouveau type de bibliothèque, la librairie DEL.

Les librairies DEL sont des bibliothèques de molécules innovantes codées par de nouvelles têtes d’ADN (DEL), soutenues par la biophysique et l’intelligence artificielle, de manière à élargir l’espace chimique et maximiser la diversité et la découverte de nouvelles molécules avec un potentiel thérapeutique.

Comme c’est le cas d’une bibliothèque de livres, les librairies de molécules se démarquent en général par la grande diversité de leur offre.

Magasiner des molécules, c’est un peu comme acheter plusieurs blocs Lego différents qu’on pourra assembler ensuite pour obtenir plusieurs autres composés innovants. Plus les blocs choisis diffèrent les uns des autres, plus notre banque promet d’être riche en termes de possibilités d’agencements. Le choix des blocs est donc crucial dans notre projet, précise Louis Vaillancourt.

En plus de viser une grande diversité, l’IRIC doit tenir compte du type de blocs choisis. Ces blocs peuvent être monovalents, divalent ou trivalent, selon le nombre de connexions qu’ils offrent. Un bloc monovalent offrira une seule connexion, tandis qu’un bloc divalent en offrira deux et le trivalent, trois. Si tous les types de blocs ont leur intérêt, dans le cas d’une librairie DEL, les blocs de départ doivent être au moins divalents, parce qu’une « étiquette d’identification à base de brins d’ADN » occupe l’une des connexions des blocs. Toutefois, des blocs monovalents peuvent devenir intéressants s’ils viennent se greffer aux connexions restantes.

Où trouver les molécules pour remplir la bibliothèque?

Il existe plusieurs sources pour se procurer de nouveaux livres (molécules). Entre autres, un chercheur peut faire l’achat de sous-librairies provenant d’autres instituts ou d’autres librairies. Également, il arrive que certaines « bibliothèques » ferment, puis que ces dernières effectuent ce qu’on appelle des dons de pharmaceutiques, c’est-à-dire des dons de composés.

Cette étape du choix des blocs est cruciale pour la suite, parce que les choix effectués détermineront finalement la richesse et la diversité de la librairie DEL de l’IRIC. Depuis le lancement du projet Acuité Québec en décembre 2021, le laboratoire de la professeure Anne Marinier s’exerce à acquérir les meilleurs composés pour ensuite passer à l’étape suivante, soit l’étape du criblage.

Qu’est-ce que le criblage?

Une fois que tous les « livres » sont sélectionnées, la seconde étape consiste à les faire passer à travers un test ultime que l’on nomme le criblage. Le criblage à haut débit (HTS) est la technique utilisée dans la composition de librairies traditionnelles pour tester simultanément un grand nombre de composés différents dans un essai donné, en vue d’identifier, en un minimum de temps (plusieurs mois pour la méthode HTS), lesquelles de ces molécules présentent une affinité quelconque avec la cible biologique et représentent donc un intérêt pour la recherche.

De son côté, le criblage DEL a l’avantage de pouvoir être complété en seulement une journée, comparativement à plusieurs mois pour le criblage traditionnel HTS. C’est à ce moment précis qu’interviennent les fameuses étiquettes à base de brins d’ADN, qui permettent d’identifier efficacement quel « livre » passe dans le criblage et de mieux suivre les interactions individuellement.

Les résultats de cette deuxième étape permettront de connaître les affinités des molécules et de savoir quelles connexions pourraient être potentiellement intéressantes lors de l’assemblage.

Les librairies de molécules : point de départ du médicament

La professeure Anne Marinier (IRIC) gère le premier projet d'une série de douze composant le consortium Acuité Québec
La professeure Anne Marinier (IRIC) gère le premier projet d'une série de douze composant le consortium Acuité Québec
Photo : Fournie


Le projet de la professeure Anne Marinier de l’IRIC figure au premier rang de la suite de douze projets du consortium Acuité Québec et vise l’accélération du processus de recherche du médicament. La raison de cette première position est simple : le point de départ du continuum de recherche du médicament est toujours une simple molécule d’intérêt. En fait, tous les médicaments présentement commercialisés ont un jour été une molécule d’intérêt que la chimie médicinale a permis de mieux comprendre pour ensuite la transformer en un médicament soluble, stable et efficace, à l’aide de la pharmacologie.

En développant une librairie DEL grâce à la maîtrise d’une méthode de criblage DEL, cela accélère automatiquement l’étape initiale (la découverte de molécules d’intérêt) et permet d’atteindre plus rapidement l’étape suivante, soit l’application de cette molécule au niveau de la pharmacologie fondamentale. Sachant que le continuum de découverte du médicament dure actuellement entre 10 à 15 ans, avant de passer des laboratoires vers les patientes et patients, il est évident que le criblage DEL fait une différence significative en début de parcours.

À propos d'Acuité Québec
Mieux prédire et imager l’action des médicaments, voilà le défi du projet Acuité Québec, chapeauté par l'Institut de pharmacologie de Sherbrooke (IPS). Pour ce faire, une équipe de recherche interdisciplinaire et multi-universitaire développera des technologies innovantes pour accélérer la découverte du médicament. Les infrastructures industrielles et les expertises académiques s’allient ici pour accélérer le processus de recherche, en intégrant l’intelligence artificielle à chacune des étapes.


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