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Thèse - Stéphanie BERNIER

Au-delà de l'influence : le mentorat littéraire. Étude de la correspondance entre Louis Dantin et les Individualistes de 1925

Stéphanie BERNIER

Qu’est-ce qu’un mentor en littérature? Relation importante de la vie littéraire, et pourtant méconnue, le mentorat, comme levain du processus de parachèvement de l’œuvre et comme lien affinitaire à part au sein des sociabilités littéraire, est l’objet de cette thèse de doctorat, première contribution à l’étude du mentorat en littérature québécoise. À cette fin, elle s’appuie sur un corpus de près de 700 lettres échangées entre le critique et mentor Louis Dantin et les auteurs du groupe des Individualistes de 1925 (Alfred DesRochers, Jovette Bernier, Robert Choquette, Simone Routier, Rosaire Dion-Lévesque, Éva Senécal et Alice Lemieux), de manière à répondre à deux questions fondamentales : qu’est-ce que le mentorat littéraire et comment s’est déployé le mentorat dans la correspondance de Louis Dantin?

Deux grandes parties structurent la thèse. D’abord, l’étude de la trajectoire de chaque auteur conduit à identifier les conditions d’existence du groupe des Individualistes de 1925 ainsi que les raisons de leur concentration autour d’un mentor unique (Louis Dantin, chapitre 1). Ensuite, l’établissement d’une définition stable du mentorat met en lumière les caractéristiques essentielles à sa compréhension et à son étude dans un contexte spécifique, celui de la littérature (chapitre 2). Pour ce faire, différents champs de recherche sont mis à contribution : la littérature, le développement de l’adulte, la psychologie, la pédagogie, la philosophie. Une fois cette définition générale posée, la spécificité du mentorat en contexte littéraire est pensée dans un cadre sociologique à partir des questions portant sur l’amitié entre écrivains (Lacroix), la filiation, la gratuité et le don (Godbout) et la reconnaissance en régime de biens symboliques (Honneth, Todorov, Heinich). Ces constats théoriques conduisent à former une matrice du mentorat, inspirée du modèle de Renée Houde, où se retrouve chaque étape du déroulement de la relation. Cette matrice s’appuie sur la synthèse des sept correspondances à l’étude. La prise en compte du support de la relation, l’épistolaire, reste central pour la compréhension et l’étude du phénomène, puisque la relation mentorale se construit dans et par le discours, par l’élection d’un ethos spécifique (Amossy), ainsi que par l’établissement d’un pacte épistolaire (Melançon) noué entre le mentor et le mentoré.

La deuxième partie de la thèse (chapitres 3 à 7) étudie chaque relation mentorale de manière à en faire ressortir les particularités, les nuances puisque les mentorés investissent de façon singulière les paramètres généraux du mentorat selon leurs besoins. Les documents d’archives (lettres, manuscrits et documents divers), les articles et œuvres publiés forment la source première de cette analyse. À partir de perspectives diverses, ces études de cas montrent que, dans le contexte des années 1930, le mentorat s’inscrit au cœur de « l’action épistolaire » (Beaudet) qui concourt à l’émergence d’une nouvelle génération littéraire mue par un désir d’individualité et de liberté.

En somme, l’étude du mentorat se place au carrefour des perspectives de recherche de la génétique, de la poétique et de l’analyse des sociabilités ouvrant la voie à une sociogenèse des textes. Cette thèse démontre qu’une telle approche permet de saisir avec acuité le processus d’émulation littéraire et les conditions d’existence d’une œuvre, tant sur le plan des circonstances matérielles et objectives (instances de l’institution littéraire, courants esthétiques) que subjectives (pratiques singulières de l’écrivain); de plus, elle offre une saisie inédite des filiations parfois insoupçonnées qui se trament dans la littérature québécoise.