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Mémoire - Caroline PAQUETTE

De l’ « homme qui triche » à l’artiste
sacrifié : scénarios éditoriaux dans le roman québécois contemporain (2000-2008)

Caroline PAQUETTE

Modeste intermédiaire ou personnalité publique, défenseur de la culture ou marchand de livres: la figure de l’éditeur se décline en de multiples facettes, révélant par là une ambiguïté qui prend racines dès son émergence sur la scène littéraire moderne, au XIXe siècle. Si le rôle de cet acteur du monde du livre est toujours empreint d’une profonde ambivalence, son existence même se voit aujourd’hui remise en question – on évoque littéralement la « mort » de l’éditeur – en raison des changements qui s’opèrent dans le milieu éditorial. Parallèlement, les représentations de l’éditeur se multiplient dans les œuvres fictionnelles à partir des années 2000. Ce sont ces mises en fiction, dans le roman québécois contemporain précisément, qui constituent le sujet de la présente recherche.

Les représentations fictionnelles du personnel littéraire constituent un champ d’étude de plus en plus exploré.
Au-delà de la figure de l’écrivain, analysée entre autres par André Belleau et Roseline Tremblay, celle de son alter ego, l’éditeur, a été peu étudiée à ce jour. Ce mémoire a pour principal objectif de déterminer les scénarios éditoriaux dominants dans un corpus romanesque allant de 2000 à 2008. Nous y examinons notamment la relation qu’entretient l’éditeur avec l’auteur, de même qu’avec les autres agents de l’univers littéraire. Si notre analyse se concentre sur les figurations romanesques, nous nous permettons à l’occasion de réfléchir à l’autorité que s’octroie l’auteur réel dans le choix de ses représentations.

Le premier chapitre porte sur l’éditeur caméléon, qui évolue essentiellement dans des contextes mondains. Figure centrale de l’institution littéraire, il se prête volontiers au jeu relationnel et peaufine son capital social, essentiel à sa reconnaissance en tant qu’éditeur. Outre sa posture de « chef d’orchestre » du milieu éditorial, sa recherche constante de légitimation et ses descriptions physiques sont abordées, en plus de son rapport glacial à l’auteur et à la littérature. L’éditeur artiste fait l’objet du second chapitre, qui débute par l’analyse du discours vocationnel et de l’autorité littéraire chez les personnages. Pratiquant une « édition à l’envers », ces derniers rejettent les aspects institutionnel, financier et mondain du métier ; ce clivage entre les valeurs de l’éditeur artiste et celles qui dominent dans l’univers éditorial représenté engendre une souffrance, corporelle et mentale, chez les protagonistes. Leur investissement total, en dépit de la douleur, leur opposition face à l’institution et leur relation ambiguë avec l’auteur sont également évoquées. Enfin, le troisième et dernier chapitre se penche sur l’éditeur vampire, métaphore de l’éditeur exploiteur et capitaliste, qui apparaît surtout dans ses rapports amoureux avec une écrivaine. Sournois, il entremêle avantageusement vie personnelle et vie professionnelle afin de satisfaire ses ambitions charnelles et mercantiles. Très caricatural, l’éditeur vampire se construit dans l’excès, qui se manifeste par exemple dans son comportement amoureux, son apparence, ses lieux fétiches ; les romans reproduisent même, sur le mode parodique, certains stéréotypes du genre sentimental. Sa relation avec l’écrivaine, fondée sur l’infantilisation et la manipulation, n’échappe pas à une certaine ironie et fait l’objet de la dernière section du chapitre.

En somme, l’éditeur hérite du mauvais rôle dans les romans, comme le veut la traditionnelle équation associant écrivain et pureté, éditeur et argent: on écarte en effet l’aspect humain – le travail avec l’auteur, sur le
manuscrit – de la profession au profit d’une vision très entrepreneuriale de l’édition, que l’on dénonce toutefois.