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L'industrie chimique au siècle dernier

Le génie chimique en demande en Angleterre

Comme la révolution industrielle créait de nouveaux besoins, certains produits chimiques devinrent essentiels pour maintenir la croissance. L'acide sulfurique est un de ces premiers produits chimiques industriels. À cette époque, il était courant de quantifier la puissance économique d'un pays à partir de sa production d'acide sulfurique. En ayant cette information à l'esprit, on ne s'étonne pas de constater que les industriels anglais de cette époque mettent beaucoup d'efforts, d'argent et de temps à améliorer le procédé industriel de fabrication de l'acide sulfurique. 

Production de l'acide sulfurique

Pour fabriquer l'acide sulfurique, la méthode utilisée depuis longtemps (1749) était connue sous le nom de méthode de la chambre de plomb (Lead-Chamber) et elle nécessitait de l’air, de l’eau, du bioxyde de soufre, du nitrate et finalement, une grande chambre de plomb. De ces éléments, le nitrate était souvent le plus coûteux puisque dans la dernière partie du procédé, le nitrate, sous forme d'oxyde nitrique, était perdu dans l'atmosphère et on devait constamment en rajouter. La quantité ajoutée, sous forme de nitrate de sodium (nitrates), était importée du Chili et était par le fait même très onéreuse!

En1859, John Glover aide à solutionner ce problème en introduisant une tour de transfert de masse pour récupérer une partie du nitrate perdu à l'air. Dans cette tour, l'acide sulfurique (contenant encore des nitrates) s'écoulait vers le bas en percolant à contre-courant d'un écoulement de gaz de combustion. Le gaz absorbait ainsi une partie des nitrates. À la suite de cette opération, les gaz étaient redirigés vers la chambre de plomb où les nitrates étaient réutilisés.

La tour de Glover a été adoptée par l’industrie chimique dès la fin du 19esiècle puisque les forces économiques forçaient la modernisation des usines chimiques qui devaient utiliser de la façon la plus économique possible les produits chimiques. Ainsi, avec des innovations comme la tour de Glover

Les alcalins & Le procédé Le Blanc

Une autre industrie chimique très ancienne et compétitive se positionne pour la fabrication de produits alcalins tels les Na2CO3, K2CO3 et autres carbonates. Ces composés trouvent un vaste champ d'applications incluant la fabrication du verre, du savon et des textiles, alors en grande demande. À la fin des années 1700, alors que les arbres sont plus rares en Angleterre, la seule source de Na2CO3 sur les îles britanniques devint les algues marines (kelp) qui étaient transportées sur les plages par les vagues. Les importations des alcalins, en provenance du continent américain sous la forme de cendres de bois, de l'Espagne sous forme de barilla (une plante contenant 25 % de produits alcalins), ou encore d'une mine égyptienne, ont permis de combler ce manque malgré un coût élevé de transport.

Toutefois, la dépendance anglaise se termine quand un Français nommé Nicolas Le Blanc invente un procédé chimique pour convertir le sel de mer en Na2CO3. Le procédé Le Blanc fut adopté en 1810 et fut constamment amélioré pendant les 80 années qui suivirent par des travaux d'ingénierie du procédé. Une grande partie des innovations était dirigée vers la récupération de l'acide chlorhydrique, des oxydes d'azote ( Tour de Glover), du soufre, du manganèse, et du chlore, qui étaient tous générés par le procédé.

Carbonate de soude et le procédé Solvay

En 1873, un procédé attendu depuis longtemps balaie l'Angleterre, remplaçant rapidement la méthode Le Blanc pour produire de la soude caustique. La chimie du procédé innovateur, le Procédé Solvay, est beaucoup plus directe que l'ancien procédé Le Blanc, mais au coût d'une ingénierie beaucoup plus complexe. La chimie simple de ce procédé avait été découverte en 1811 par Fresnel mais les efforts de mise à l'échelle industrielle avaient échoué pendant 60 ans car les ingénieurs chimistes n'étaient pas encore disponibles et formés pour ce genre de travaux. C'est pourquoi le procédé porte le nom de Solvay et non de Fresnel.

Au coeur de ce procédé, on retrouve une tour de carbonation de grande efficacité d'une hauteur de 80 pieds. Dans celle-ci, la saumure ammoniaquée percole tandis que du CO2 est diffusé vers le haut de la colonne. Ces produits réagissent pour former du bicarbonate de sodium. En conséquence, l'ingénierie de Solvay conduit à un procédé continu opérant sans sous-produits dangereux mais plutôt avec un élément facilement épuré. En 1880, il était évident que ce procédé rendrait le procédé Le Blanc obsolète rapidement.

L'Alkali Inspector

Lors de la rentrée en scène de George Davis, un Alkali Inspector de la région du Midland en Angleterre, qui a mené ses investigations dans les usines chimiques de sa région, il mesurait la pollution selon la loi de 1863. C’est ainsi qu’il observait les différents procédés (Lead-Chamber, Solvay et Le Blanc) qui avaient subi une transformation profonde suite aux progrès du génie chimique pour mettre en évidence le besoin d'une nouvelle race d'ingénieurs à l'aise avec la chimie appliquée et l'ingénierie. En 1880, George Davis propose la formation de la Society of Chemical Engineers. Il ne réussit pas, mais il continue néanmoins à promouvoir le génie chimique.

En 1884, Davis devient consultant indépendant et applique les connaissances du génie chimique qu'il a apprises pendant toutes ces années. En 1887, il prépare une série de 12 cours (lectures) traitant du génie chimique qu'il présente au Manchester Technical School. Organisés autour d'unités individuelles, ils deviendront les « opérations unitaires » du génie chimique. Davis explora ces opérations de façon empirique et présenta des pratiques d'opération employées dans l'industrie chimique anglaise. Certains pensaient alors que ses cours révélaient les secrets de l'opération des usines anglaises au reste du monde. Ils intéressaient particulièrement les étatsuniens qui constatèrent assez rapidement toute l’importance stratégique du génie chimique.

Le génie chimique étatsunien

En 1888, les Étatsuniens étaient ébahis par les nouvelles publiées dans leurs journaux à propos des événements se déroulant de l'autre côté de l'Atlantique. Mais ce n'était pas l'émergence du génie chimique qui excitait le peuple! Un certain Jack l'éventreur s'était accaparé les unes des journaux en assassinant six femmes dans le Londres brumeux et froid. Avec tout ce sensationnalisme, la presse exploita à fond ce sujet scabreux. Il semble toutefois que l'émergence du génie chimique soit passée inaperçue. Heureusement, le modèle de formation de Davis avait été apprécié à sa juste valeur par quelques esprits clairvoyants.

Le  Course X du MIT

Seulement quelques mois après l'initiative de Georges Davis, Lewis Norton, un chimiste et professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), établit le premier programme d'une durée de quatre ans en génie chimique, le Course X (dix). Rapidement d'autres établissements universitaires comme  l'University of Pennsylvania et la Tulane University (Penn & Tulane), suivent le MIT et créent des programmes d'enseignement du génie chimique d'une durée de quatre ans.

Ces programmes sont issus des départements de chimie et visent l’application des connaissances développées dans le domaine de la chimie au cours du siècle dernier. Ces pionniers sont également orientés vers les besoins de l'industrie. Suivant la voie tracée par Davis, ils développent un cours basé sur le génie mécanique et la chimie industrielle en priorisant l'ingénierie.

Dès le début, le génie chimique a été développé pour satisfaire les besoins de l'industrie aussi bien en Amérique qu'en Angleterre. La compétition entre les manufacturiers était féroce, et tous visaient à produire au plus bas coût. Pour atteindre cet objectif, des industriels peu scrupuleux utilisent même des tactiques comme des pots-de-vin pour que des livreurs contaminent les produits de leurs compétiteurs!

Afin de conserver une longueur d’avance, les usines doivent être optimisées comme par exemple l'opération continue des réacteurs, par opposition à  l'opération discontinue, le recyclage des réactifs non-convertis, et la purification de manière économique des produits. Ces développements nécessitent en retour l'élaboration de nouveaux systèmes de tuyauterie (pour lesquels les chimistes n'étaient pas préparés à faire la conception) et une connaissance de la chimie (que les ingénieurs mécaniques n'ont pas). Les nouveaux ingénieurs chimistes capables de concevoir et d'opérer les procédés des usines chimiques de plus en plus complexes émergent rapidement.

Quelques détails à connaître