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Participante au programme de leadership féminin Homeward Bound

« Ne doutez jamais de vous-même »

Émilie Lefol, doctorante en biologie, a participé au programme Homeward Bound en 2018. La voici à bord de l’Ushuaïa lors d’une expédition en Antarctique.
Émilie Lefol, doctorante en biologie, a participé au programme Homeward Bound en 2018. La voici à bord de l’Ushuaïa lors d’une expédition en Antarctique.
Photo : Fournie

Enfant, Émilie Lefol rêvait d’exercer un métier non traditionnel. « Tu ne peux pas, t’es une fille », qu’on lui a dit. En guise de pied de nez à cette remarque insatisfaisante, elle a tout mis en œuvre pour réussir dans un domaine où les femmes peinent à se tailler une place : la science. Un an après sa participation au programme de leadership féminin Homeward Bound, l’étudiante au doctorat relate son expérience et nous livre au passage un message percutant sur l’inclusion.

Émilie Lefol est étudiante de troisième cycle en biologie. Originaire d’une petite ville de la Normandie, en France, elle termine présentement sa thèse à l’Université de Sherbrooke sous la codirection des professeurs Dany Garant et Fanie Pelletier. Ses travaux portent sur l’Hirondelle bicolore, une espèce en déclin.

L’an dernier, Émilie a figuré parmi les 100 femmes sélectionnées pour former la deuxième cohorte de Homeward Bound, un programme de leadership féminin qui vise à accroître l’influence des femmes dans les postes décisionnels et politiques à l’échelle internationale. Le programme a pour objectif de recruter 100 participantes par année pendant 10 ans. Ultimement, il mobilisera 1000 femmes issues de milieux scientifiques diversifiés, lesquelles seront appelées à se pencher sur de grands enjeux sociétaux, comme celui du défi climatique.

Homeward Bound consiste en une formation de douze mois composée d’ateliers pratiques réalisés par vidéoconférence et d’une expédition de groupe en Antarctique.

Trouver les fonds, l’épreuve ultime

Le processus de sélection rigoureux du programme Homeward Bound laisse présager une formation exigeante qui requiert une belle force de caractère, une qualité qu’on entrevoit d’emblée chez Émilie.

L’un des défis proposés aux participantes est de trouver du financement. « Partir en Antarctique, ça coûte très cher, fait remarquer la chercheuse. Récolter l’argent, c’est le plus gros défi de cette aventure-là. En fait, ça fait partie de la formation. On ne peut pas diriger une entreprise, un cabinet ou un laboratoire si on ne sait pas trouver de l’argent. »

Pour arriver à ses fins, la doctorante a dû redoubler d’efforts et user de créativité. « On ne se rend pas compte du travail que ça représente, souligne-t-elle. J’ai monté une page Internet, j’ai fait un plan de sociofinancement, j’ai trouvé des idées, contacté des journaux, des stations de radio, etc. »

La chercheuse lance un message aux femmes qui aspirent à un métier non traditionnel : « Qu’elles ne doutent jamais de leurs capacités. Tout est possible. »
La chercheuse lance un message aux femmes qui aspirent à un métier non traditionnel : « Qu’elles ne doutent jamais de leurs capacités. Tout est possible. »
Photo : Michel Caron

De toutes les activités de financement qu’Émilie a mises en œuvre, la possibilité d’adopter un manchot de l’Antarctique est sans contredit la plus originale. Le concept : en échange d’un don de 150 $ ou plus, la donatrice ou le donateur avait la possibilité de parrainer un manchot en lui attribuant un prénom. « Les gens sont sensibilisés à ce qui est palpable, à ce qui est à proximité, explique la chercheuse. S’ils ont un petit bout d’eux-mêmes là-bas, peut-être qu’ils seront plus sensibles à ce qui se passe à cet endroit? C’est comme si on disait "Hé! Il y a un petit Hugo, un petit Arthur à toi là-bas". Ça motive les gens à faire attention à leur habitat. »

Trente jours en mer

Au terme des onze mois de formation à distance, au cours desquels les participantes acquièrent des notions de base en leadership, le programme Homeward Bound catapulte la centaine de femmes sélectionnées dans une aventure des plus inouïes : un voyage d’un mois en Antarctique.

L’objectif de l’expédition? Apprendre à se découvrir, une sorte de voyage intérieur. « Si on nous met 100 femmes sur un bateau, c’est vraiment pour qu’on soit coupées de son monde, de ses liens professionnels, familiaux, amicaux, pour qu’on puisse se centrer sur soi-même et sur la relation concrète avec les autres. C’est le but. »

Le séjour en milieu polaire fut d’ailleurs le point culminant du programme pour Émilie. L’immensité vertigineuse des icebergs, la proximité amicale des manchots et, surtout, l’omniprésence des baleines. « Il y en avait partout! Ça m’impressionne toujours, leur intelligence. Là-bas, les baleines distinguent les bateaux de pêche des bateaux d’expédition. On ne peut que rester humbles face à un animal comme ça. »

Émilie ne s’est pas laissé rebuter par les conditions extrêmes du continent de glace. La voici en présence d’une impressionnante carcasse de cétacé.
Émilie ne s’est pas laissé rebuter par les conditions extrêmes du continent de glace. La voici en présence d’une impressionnante carcasse de cétacé.
Photo : Fournie

Outre le contact étroit avec la faune, la chercheuse garde un souvenir impérissable des ateliers pratiques réalisés sur le bateau. En groupe, les participantes étaient invitées à développer leurs compétences en leadership (communication efficace, intelligence émotionnelle, etc.) et à découvrir leurs propres forces et faiblesses. « Pour être une bonne chef ou un bon chef, il faut bien se connaître. Le rôle du leader n’est pas de diriger ou d’écraser les autres, mais bien de les porter, de les guider pour qu’ils s’épanouissent. […] Si on se connaît mal soi-même, comment peut-on aider les autres à donner le meilleur d’eux-mêmes? »

La place des femmes en science

L’expédition en Antarctique fut aussi l’occasion de visiter des bases scientifiques. La sous-représentation des femmes dans ces bases est l’un des enjeux soulevés par Émilie :

Les femmes pourraient être une solution au problème environnemental. Il s’agirait peut-être d’inspirer les décisionnaires à intégrer plus de femmes dans leur équipe pour faire voir une autre vision des choses, nourrir les travaux en commun et faire émerger des solutions. Mettez de la mixité, de la diversité dans vos équipes décisionnelles, et vous allez voir, c’est succès garanti. Plusieurs études le montrent.

Le contact avec la faune reste le moment fort de l’aventure pour Émilie : « En Antarctique, les animaux ne craignent pas l’humain. »
Le contact avec la faune reste le moment fort de l’aventure pour Émilie : « En Antarctique, les animaux ne craignent pas l’humain. »
Photo : Fournie

Par ailleurs, Émilie fait remarquer que le problème de la sous-représentation des femmes est multifactoriel : manque de confiance des femmes en leurs capacités, postes inadaptés à leur réalité, charge mentale élevée chez les professionnelles, pression sociale… « De plus en plus d’entreprises, d’institutions ouvrent les postes à responsabilités aux femmes, précise la chercheuse. Le problème est que très peu de femmes osent postuler. Un écart entre les hommes et les femmes que l’on voit dès les études universitaires. Les chiffres parlent d’eux même : en science, aux études graduées, les femmes ne représentent que 25% des étudiants. »

Son message à celles qui doutent

En réponse à son rêve d’enfance de piloter un avion de chasse, la jeune Émilie avait dû se contenter d’une réplique plutôt dissuasive : « Tu ne peux pas, t’es une fille, c’est un métier d’homme. »

Or, si ses plans ont naturellement changé en raison d’un diagnostic de daltonisme, Émilie n’a jamais renoncé à se battre pour atteindre ses objectifs professionnels les plus ambitieux : « C’est peut-être par esprit de contradiction, mais j’ai toujours voulu faire ce qu’on me disait que j’étais incapable de faire. Tout mon cursus, j’ai été un peu en mode révolte. On m’a dit que je ne ferais jamais de grandes études. À l’école, j’étais une enfant un peu turbulente, et j’étais moyenne en classe. Je suis au doctorat maintenant et je travaille sur des couleurs que je ne vois pas. »

Je veux juste dire aux femmes qu’elles sont capables de tout faire. Jamais qu’elles ne se laissent dire qu’elles ne peuvent pas! Un problème que peuvent également rencontrer les hommes. Un métier ne devrait plus être attribué à un genre spécifique. Arrêtons les clichés. On est quand même en 2019!

Si le programme Homeward Bound ne l’a pas transformée, Émilie reconnaît que l’aventure lui a donné des ailes. Parmi ses projets, elle envisage de s’engager activement au sein du programme, mais comme professionnelle cette fois. « Mais avant, j’ai un doctorat à finir! », s’empresse de préciser celle qui, on n’en doute point, s’érigera au cours des prochaines années en modèle de persévérance pour bien des femmes.


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