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Itinérance, judiciarisation et droit

Les limites du droit face à l’itinérance

La professeure Véronique Fortin
La professeure Véronique Fortin

Photo : Université de Sherbrooke

Incontournable dans les grands centres et de plus en plus présente en région, l’itinérance tend à prendre de l’ampleur, même si elle se transforme et change progressivement de visage au sens propre et au sens figuré. La population en situation d’itinérance est en effet de plus en plus diverse : plus que jamais auparavant elle est composée de femmes, de personnes immigrantes et de personnes âgées. On note aussi une surreprésentation de personnes autochtones.

La professeure Véronique Fortin, fraichement arrivée à la Faculté de droit, a concentré ses recherches des dernières années sur la judiciarisation de certaines populations marginalisées en raison de leur occupation de l’espace public, un sujet qui démontre bien les limites du droit. Alimentée par une vaste expérience auprès des personnes vivant ou ayant vécu en situation d’itinérance à Montréal, elle s’est notamment penchée sur les impacts de l’application stricte des règlements municipaux, via la remise de constats d’infraction, sur ces populations. Une réalité complexe, qui fait l’objet d’un dossier complet dans le plus récent numéro de Parole de droit, le magazine de la Faculté de droit.

En 2010, on estimait que la population itinérante avait une dette pénale envers la ville de Montréal totalisant près de 15 M$, pour une moyenne d’environ 6 700 $ par personne pour les 800 personnes les plus judiciarisées.1 Cette dette pénale découle des amendes et des frais associés aux constats d’infraction remis aux personnes en situation d’itinérance – amendes qu’il leur est en pratique impossible de payer, il va sans dire.

Selon la professeure Fortin, « les personnes en situation d’itinérance, parce qu’elles n’ont pas de domicile stable, sont forcées d’occuper l’espace public, le banc public, le trottoir, la rue. Or, leur simple présence dans l’espace public est pratiquement rendue illégale en raison des pratiques de judiciarisation. La Commission des droits de la personne a d’ailleurs conclu en 2009 que les personnes en situation d’itinérance sont souvent victimes de profilage social, c’est-à-dire qu’elles subissent une application disproportionnée et discriminatoire des règlements municipaux, en raison de leur apparence physique et de leur condition sociale ».

La réalité des personnes en situation d’itinérance rend les conséquences de cette judiciarisation dramatiques à tous les niveaux. La judiciarisation est extrêmement anxiogène et stigmatisante et elle peut parfois mener à l’emprisonnement pour non-paiement d’amendes, avec tout ce que cela implique en termes de déstabilisation et d’obstacles à la réhabilitation : perte d’emploi, perte de logement, retour à la rue, etc. Selon la professeure Fortin, le droit pénal n’est pas un bon outil pour régler le problème de la cohabitation dans l’espace public et encore moins le problème de l’itinérance et de l’extrême pauvreté.

Heureusement, il existe maintenant plusieurs programmes sociaux en lien avec l’itinérance à la Cour municipale de Montréal, et dans d’autres villes du Québec.


1 Bellot, C., & Sylvestre, M.-E. (2012). La judiciarisation des personnes en situation d’itinérance à Montréal: 15 années de recherche – faits et enjeux (1994-2010).

http://www.rapsim.org/docs/Extraits15ansjudiciarisation2012.pdf


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