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Métis et Indiens non inscrits

Un jugement qui changera l’histoire

Maxime St-Hilaire, spécialiste du droit des autochtones : «Si les Métis et Indiens non inscrits échappent actuellement à la Loi sur les Indiens, ce n’est pas parce que le Parlement fédéral ne le pouvait pas, mais bien parce qu’il ne le voulait pas.»

Maxime St-Hilaire, spécialiste du droit des autochtones : «Si les Métis et Indiens non inscrits échappent actuellement à la Loi sur les Indiens, ce n’est pas parce que le Parlement fédéral ne le pouvait pas, mais bien parce qu’il ne le voulait pas.»


Photo : Michel Caron

Le 8 janvier, la Cour fédérale du Canada a tranché, après une bataille judiciaire qui durait depuis 14 ans : les métis et les autochtones vivant hors réserve sont bel et bien des «Indiens» au sens de la loi. Spécialiste du droit des autochtones, le professeur Maxime St-Hilaire commente ce jugement, que devrait retenir l’histoire canadienne.

UdeS Nouvelles : Que vient nous dire le jugement Phelan du 8 janvier dernier?

Maxime St-Hilaire : Cette décision déclare que les Métis et Indiens non inscrits (en vertu de la Loi sur les Indiens, une loi fédérale), aussi connus sous l’acronyme de «MINI», sont des «Indiens» au sens du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867. Qu’est-ce que cela veut dire? Que le Parlement fédéral détient une compétence exclusive à leur endroit. Autrement dit, ce jugement vient confirmer ce que la vaste majorité des spécialistes pensait depuis longtemps : que si les «Indiens» non inscrits échappent actuellement à l’empire de la Loi sur les Indiens − et qu’il en va de même des Métis qui ne sont pas davantage couverts par une autre loi fédérale qui en serait l’équivalent − ce n’est pas parce que le Parlement fédéral ne le pouvait pas, mais bien parce qu’il ne le voulait pas.

UdeS Nouvelles : Quelle est sa portée juridique à court terme?

M. St-Hilaire : Techniquement, il s’agit ici d’un jugement déclaratoire, qui n’est pas susceptible d’exécution forcée. Un délai de 30 jours est aussi prévu par la loi pour faire appel de ce jugement devant la Cour d’appel fédérale. Ensuite, la Justice peut déclarer la compétence d’une sphère de pouvoir sur une matière, mais il lui est très difficile sinon impossible de forcer l’exercice de cette compétence. Souvent le droit ne peut pas grand-chose contre la mauvaise volonté. À cet égard le comportement du gouvernement fédéral dans cette affaire est préoccupant.

Après avoir tout fait, pendant plus de 10 ans, pour faire dérailler la demande, le gouvernement fédéral a fini par plaider, sur le fond, que la question était «trop compliquée», ce qui est épatant. Le juge Phelan a donc eu à préciser que, «[d]e manière générale, les personnes ont le droit de savoir quel palier de gouvernement a compétence à leur égard [...]». L’argument principal du gouvernement était cependant qu’il s’agissait d’une question «théorique [dont la réponse] ne réglera rien». Voilà qui me paraît d’un cynisme rare, surtout de la part d’un gouvernement.

Sur le plan juridique, une conséquence à prévoir coïncide avec une crainte qui a animé en partie un tel comportement judiciaire, celle de futurs recours en discrimination fondés entre autres sur l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, une fois établi que le pouvoir fédéral pouvait agir à l’endroit des Métis et des Indiens non inscrits. Il s’agit là d’une vaste question...

UdeS Nouvelles : Ce jugement n’a pas fait grand bruit au sein du mouvement Idle no more. Croyez-vous qu’il aurait dû soulever davantage d’enthousiasme?

M. St-Hilaire : Un certain manque d’enthousiasme s’explique peut-être surtout par l’idée qu’une telle décision devrait avoir été rendue il y a longtemps, voir qu’elle n’aurait pas dû se révéler nécessaire du tout. Certaines victoires peuvent laisser un goût amer. Celle-ci aurait dans l’ensemble coûté plus de cinq millions de dollars et intervient au terme d’une lutte judiciaire de plus de dix ans.

UdeS Nouvelles : Quelle importance accordez-vous, personnellement, à ce jugement Phelan?

M. St-Hilaire : Jugement d’une importance capitale. La décision motivée du juge Phelan fait 204 pages; c’est dire combien elle est riche d’enseignements. Notamment, le juge Phelan a réussi à proposer une définition simple et opérante des notions d’«Indien non inscrit» et de «Métis». À en croire les motifs du juge Phelan, la preuve aurait été plutôt accablante. Celle-ci indique que, au fond, le gouvernement fédéral se tenait pour compétent à l’endroit des Métis, mais refusait de s’acquitter de cette responsabilité. La thèse voulant que le pouvoir fédéral soit incompétent à l’égard des Indiens non inscrits me paraissait indéfendable. Au final, le gouvernement fédéral plaidait que sa loi pouvait définir la compétence constitutionnelle de l’adopter, ce qui est à mes yeux une aberration juridique.


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