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Étude exhaustive des crimes d'honneur depuis 1954

Les crimes d'honneur sont punis très sévèrement au Canada

Est-il nécessaire d'officialiser juridiquement le crime d'honneur au Canada? Selon une étude de l'Université de Sherbrooke, l'absence de dispositions spécifiques sur le crime d'honneur dans le Code criminel canadien ne crée aucun vide juridique. Ces recherches menées par la professeure Marie-Pierre Robert, de la Faculté de droit, sont publiées dans la récente édition de la Revue canadienne de droit pénal.

Marie-Pierre Robert
Marie-Pierre Robert
Photo : Michel Caron

« Le crime d'honneur n'est pas une notion spécifiquement reconnue en droit pénal canadien, indique la spécialiste en droit pénal de l'Université de Sherbrooke. Il n'existe aucune disposition du Code criminel canadien qui vise le crime d'honneur spécifiquement. Néanmoins, le droit pénal canadien contient les outils pour condamner sévèrement ce type de crime, tant par la définition des infractions que par des règles relatives à la détermination de la peine. »

Les crimes d'honneur en hausse au Canada

L'étude fait état de 12 dossiers répertoriés depuis 1954 qui impliquent 15 victimes, plus précisément des meurtres dans la très grande majorité. Dans son analyse, la chercheuse a uniquement considéré les cas dans lesquels l'honneur était spécifiquement invoqué comme mobile du crime. Tous les dossiers impliquent au moins une victime de sexe féminin. Ce bilan indique que les crimes d'honneur sont de plus en plus fréquents au Canada, comme l'explique Marie-Pierre Robert : « Dans les 12 dernières années, il y a eu une augmentation significative des cas. Tandis que 3 cas ont été répertoriés entre 1954 et 1983, les crimes d'honneur ont fait au moins 12 victimes depuis 1999. »

Son étude révèle également que les crimes d'honneur sont punis très sévèrement au Canada. Quatorze personnes ont été condamnées au Canada pour avoir participé à un crime d'honneur. Dans les cas d'homicides, neuf personnes ont été trouvées coupables de meurtre et trois autres accusés ont plaidé coupables à des accusations de meurtre. Sous d'autres chefs d'accusation, deux personnes ont plaidé coupables à des accusations de harcèlement criminel ou de voies de fait graves. La chercheuse n'a répertorié aucun acquittement dans un dossier de crime d'honneur.

« L'emprisonnement à perpétuité est de loin la peine la plus fréquemment imposée pour un crime d'honneur, soit dans 78 % des cas », indique la professeure Robert. Ces condamnations ont été accompagnées en moyenne de périodes d'inéligibilité à une libération conditionnelle de 18,4 ans (soit 25 ans automatiquement pour un meurtre au premier degré et 14,6 ans en moyenne pour un meurtre au second degré).

De plus, bien que la défense de provocation soit presque toujours plaidée, cet argument n'a jamais été accepté. « Le fait que les accusés ont été reconnus coupables de meurtre et non de l'infraction moindre d'homicide involontaire démontre que l'argument n'est d'aucun secours pour les personnes accusées », ajoute-t-elle.

Ajout d'une circonstance aggravante

La chercheuse a étudié trois avenues sur l'opportunité de légiférer en matière de crime d'honneur, soit la définition d'un nouveau crime basé sur l'honneur; le meurtre au premier degré automatique; et l'ajout d'une circonstance aggravante. Dans les trois cas, la question de la définition des crimes d'honneur serait difficile tant sur le plan social que constitutionnel. « Si le gouvernement voulait sévir davantage contre les crimes d'honneur, l'ajout d'une circonstance aggravante semble la meilleure option, car elle permet de conserver la discrétion judiciaire », explique Marie-Pierre Robert.

En prévoyant un facteur aggravant supplémentaire à la liste de ceux qui sont déjà énumérés au Code criminel, la disposition s'appliquerait non seulement au meurtre au deuxième degré, mais à toutes les infractions criminelles qui peuvent être commises pour l'honneur, comme les voies de fait, les tentatives de meurtre, et autres. « Les juges pourraient donc tenir compte de ce facteur parmi tant d'autres afin de déterminer la peine appropriée, dit la professeure. On transmet également le message que les crimes commis pour l'honneur sont considérés comme plus graves que les autres, parce qu'ils heurtent les valeurs canadiennes. »

Miser sur la prévention

La spécialiste privilégie pourtant une autre avenue : « La véritable solution demeure la prévention, qui risque d'être plus efficace par le biais de l'éducation plutôt que du droit. C'est la culture de l'égalité entre les hommes et les femmes qui doit être propagée. En travaillant avec les communautés, en mettant sur pied des ressources d'appui, en informant mieux les nouveaux arrivants, nous serons mieux à même de prévenir les crimes d'honneur que par la modification du Code criminel. »