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Les chauffe-eau électriques et les batteries de voitures électriques dans la mire

Des systèmes intelligents pour mieux gérer sa consommation d’énergie

Philippe Mabilleau, professeur à la Faculté de génie
Philippe Mabilleau, professeur à la Faculté de génie

Interconnecter les divers équipements qui consomment de l’énergie électrique pour rendre leur consommation intelligente sans perturber le réseau, est-ce possible? Voilà en somme à quoi s’attaque le professeur Philippe Mabilleau, du Département de génie électrique et de génie informatique. «Si nous consommons en accord avec les capacités de production du réseau électrique, nous gèrerons notre énergie d’une manière beaucoup plus efficace», soutient le spécialiste de la Faculté de génie.

Historiquement, ce sont surtout les opérateurs de réseaux de distribution électriques comme Hydro-Québec ou Hydro-Sherbrooke qui ajustent la production à la prévision de consommation. «Avec l’introduction de moyens de production fluctuants comme l’énergie éolienne ou l’énergie solaire, il est beaucoup plus difficile maintenant de faire cet ajustement uniquement du côté du producteur, explique le professeur Mabilleau. Il faut que le consommateur y mette du sien, et c’est possible sans nuire à son confort.»

Des technologies sont conçues pour optimiser la consommation d’énergie des communautés en accord avec les possibilités du réseau. «Nous nous intéressons à des charges comme les chauffe-eau électriques retrouvés dans toutes les résidences, parce c’est facile à modéliser et que ça représente, bon an mal an, 30 % de la pointe de consommation au Québec», précise l’expert. Les batteries de voitures électriques à recharger font également partie de l’objet de ses recherches.

Stockage et recharge de l’énergie

Le stockage de l’énergie dans les accumulateurs des véhicules sous forme d’énergie chimique est à la base de ce que nous retrouverons dans les voitures 100 % électriques ou hybrides. La recharge des batteries des automobiles électriques et hybrides va représenter une quantité d’énergie importante avec la croissance prévisible de leur nombre.

Des incitatifs afin de mieux gérer cette consommation supplémentaire pourraient être liés aux possibilités du réseau : par exemple, la production d’énergie éolienne fluctue constamment au gré du vent. «La tarification devra être modulée en fonction de la disponibilité de l’électricité, précise Philippe Mabilleau. Lorsqu’elle est largement disponible, notamment pendant des périodes où la consommation est inférieure à la production, les gens seront incités à consommer en baissant le tarif, en offrant de l’électricité à meilleur prix.»

À l’inverse, s’il y a une période où la consommation désirée devra être moindre en raison d’une production insuffisante, les tarifs seront augmentés pour inciter les gens à consommer moins d’énergie. Le travail des chercheurs consiste à favoriser une utilisation judicieuse de l’énergie disponible tout en maintenant le confort des utilisateurs.

Les compteurs intelligents à la rescousse

Dans ce projet de recherche, la capacité de stockage inhérente à la nature de la charge est utilisée. S’il s’agit d’un chauffe-eau, par exemple, cette capacité vient du fait que le chauffe-eau comporte une certaine masse d’eau dont la température peut être augmentée. Lorsque l’eau froide y entrera, la température baissera en conséquence. «Si un grand nombre de chauffe-eau est utilisé, la priorité de chauffer sera accordée à ceux qui présentent des températures plus basses», souligne le chercheur de la Faculté de génie. Ceux qui en ont le moins besoin attendront. Ils vivront de leurs réserves. La capacité de l’eau est donc utilisée dans le chauffe-eau durant des plages raisonnables de températures inférieures et supérieures.

Même si la quantité d’énergie emmagasinée par chauffe-eau est modeste, avec le nombre de chauffe-eau disponibles au Québec, la capacité de stockage totale demeure assez importante et permettrait, par exemple, de réduire la pointe de puissance consommée de l’ordre de 20 à 30 %. Pour permettre cette collaboration entre les chauffe-eau ou d’autres appareils électriques comme les véhicules, nous utilisons une technologie de réseautage P2P (pair à pair ou peer to peer) similaire à celle qui est utilisée pour partager des contenus sur Internet.

Bénéfices pour le consommateur

Quels seront les bénéfices pour les consommateurs? Les compteurs intelligents qui font la manchette pour d’autres motifs seront grandement mis à contribution. En réalité, ils permettront une communication entre les appareils dans la maison qui consomment de l’énergie et le compteur, notamment pour savoir quel est le tarif courant. Au Danemark où la part de production éolienne est assez importante, le tarif est même négatif à certaines heures lorsqu’il y a du vent et que la consommation est faible. Du crédit est accordé si l’on consomme cette énergie disponible, ce qui est plus élégant et moins risqué que de bloquer les éoliennes.

Les automobiles électriques ou hybrides qui s’en viennent augmenteront la capacité de stockage en raison de la présence de la batterie du véhicule. Mais quel est le meilleur moment pour la recharger? «En devançant ou en retardant l’intensité de la charge qui sera appliquée à la batterie, la consommation s’adaptera à la production des sources fluctuantes comme les éoliennes, et l’utilisation de l’énergie sera optimisée dans le temps, dit le chercheur. En effet, très souvent lorsqu’il reviendra à la maison, l’usager va garer son auto et la brancher, mais il ne repartira pas nécessairement une heure plus tard.»

À ce compte, la batterie pourrait se charger n’importe quand pendant la nuit lorsque l’énergie serait disponible. On pourra aussi permettre aux véhicules qui seront utilisés plus tôt de se recharger d’abord. Cette forme de priorisation de la recharge prendra en compte les habitudes d’utilisation de chacun, de façon à ne pas nuire au confort ni aux besoins de déplacement.

Le concept du smart grid

Le smart grid ou réseau de distribution électrique intelligent consiste en l’ajout de l’intelligence à un réseau de distribution électrique. À ses débuts, il était assez simpliste et orienté à l’adaptation de la production à la consommation, du moins ce que nous allions prédire comme consommation. Les opérateurs de réseau comme Hydro-Québec font appel aux systèmes de contrôle et d’acquisition de données ou SCADA (supervisory control and data acquisition) pour s’adapter à ce que le consommateur utilise comme énergie et également pour surveiller et maintenir l’opération du réseau. Avec l’approche du professeur Mabilleau et l’évolution du smart grid, le consommateur participera à la gestion intelligente de ce réseau à l’intérieur d’un système de gestion demande-réponse. À certains moments, on devra consommer moins.

L’expérience a déjà été menée par des délestages programmés sur certains équipements dans le milieu industriel. Actuellement, un tarif préférentiel prévaut si on accepte d’être délesté à certaines heures. Mais plutôt que d’être du tout ou rien, les équipements dans la maison devraient être priorisés. La tarification au moyen de compteurs intelligents permettrait une certaine forme d’autorégulation en relevant tout ce que l’on consomme en fonction des coûts du marché.

Ainsi, les clients disposant de tels équipements pourraient épargner en optimisant leur consommation d’énergie. Certains des appareils, liés aux compteurs intelligents, pourront se mettre en marche au moment où le tarif sera le plus avantageux.