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Acfas 2019

IA et aide humanitaire : pas toujours un bon mélange

Photo : fournie

En 2010, un séisme ravage Haïti; en 2015, c’est au tour du Népal. Ces périodes de crise s’accompagnent d’une réponse de solidarité. Les organismes humanitaires y jouent un rôle charnière, mais ils ne sont plus seuls. Désormais, des particuliers participent à l’effort, derrière leur écran. Les possibilités ouvertes par le numérique et, surtout, par l’intelligence artificielle (IA) en font rêver plus d’un… Mais l’IA est-elle faite pour l’aide humanitaire?

Le professeur François Claveau et le chercheur postdoctoral Guillaume Dandurand survolent la question.

Quelle est l'utilisation réelle de l'IA en aide humanitaire actuellement?

Comme vous, comme nous, les travailleurs humanitaires utilisent des outils technologiques tirés du paysage de l’Internet. Parce qu’une intervention humanitaire survient habituellement dans un contexte multilingue, les intervenants recourent, par exemple, à Google Traduction. Et ce service se base maintenant sur des réseaux de neurones artificiels, la plus récente vague de l’IA. Cette utilisation n’est pas surprenante : presque tout le monde emploie l’IA, et souvent sans le savoir!

Par contre, les cas d’application sur mesure des réseaux de neurones sont rares en aide humanitaire. La récolte d’exemples reste d’ailleurs maigre pour toute autre technologie d’apprentissage automatique (ou “machine learning”).

En 2015, au Népal, les efforts ont été facilités par le système d’information géographique QuakeMap (en anglais).

Certes, les organisations humanitaires développent beaucoup d’outils numériques sur mesure. Mais ces outils reposent sur des technologies développées avant la récente vague d’intérêt pour l’IA. Par exemple, des systèmes d’information géographique (GIS en anglais) cartographient en temps réel une situation de crise, notamment à l’aide des médias sociaux. Oui, l’aide humanitaire se numérise – le tournant est bien amorcé. Mais cela ne signifie pas que l’IA est répandue.

Le professeur François Claveau
Le professeur François Claveau

Photo : fournie

Beaucoup d’initiatives, encore embryonnaires, visent à adapter l’IA aux besoins de l’aide humanitaire. Les attentes sont élevées, exacerbées par la couverture médiatique. Depuis quelques années déjà, la « révolution » imminente de l’IA fait parler… Et le secteur de l’humanitaire se comporte ici comme les autres : plusieurs enthousiastes veulent profiter rapidement de potentielles améliorations. Chez les travailleurs humanitaires, l’idée d’interventions plus rapides et plus efficaces grâce à l’IA séduit.

Mais le projet d’utiliser une technologie dernier cri ne débouche évidemment pas toujours – ni même régulièrement! – sur une utilisation réelle. La route de la nouveauté technologique est semée d’écueils… Et notre équipe de recherche en a justement repéré plusieurs, lors de l’étude approfondie d’un projet qui a emprunté cette route.

Quels écueils avez-vous observés, en pratique?

Guillaume Dandurand, chercheur postdoctoral
Guillaume Dandurand, chercheur postdoctoral

Photo : fournie

Dans le cadre d’un partenariat avec une organisation humanitaire bien connue, Guillaume a intégré à l’automne 2018 un groupe développant une plateforme numérique de coordination des interventions.

Dès le début 2017, ce groupe visait à donner aux travailleurs humanitaires « des yeux virtuels sur le terrain » (selon les dires de l’organisation), grâce aux dernières avancées de l’IA. Notre équipe de recherche multidisciplinaire était mandatée pour étudier de l’intérieur les forces et les faiblesses de la plateforme comme outil de partage de l’information. Pour y parvenir, nous avons allié les forces d’un anthropologue, Guillaume, de deux épistémologues pratiques, François et Jean-François Dubé, de même que d’une chercheuse en communication numérique, Florence Millerand.

Premier constat : l’utilisation promise de l’IA n’était pas au rendez-vous. Les tentatives dans cette direction – incluant un contrat à une firme externe qui promettait des solutions IA clés en main – n’avaient pas donné les résultats escomptés.

Par contre, la plateforme existait bel et bien. Et on pouvait légitimement prétendre qu’elle améliorait le partage de l’information dans un contexte d’urgence humanitaire.

Le groupe humanitaire développant la plateforme fait encore aujourd’hui face à un dilemme : poursuivre son plan d’intégrer l’IA comme promis ou accepter que les besoins visés ne nécessitent pas l’IA pour être comblés.

Quelles leçons tirer de votre cas pour le déploiement de l’IA dans de tels champs d'activités?

Attention aux généralisations hâtives à partir d’un seul cas… Néanmoins, ce cas exemplifie un modèle bien connu des chercheurs qui étudient les attentes technologiques (en anglais).
En particulier, une dynamique revient à chaque vague d’engouement technologique : la nouveauté devient un motivateur si puissant que la question qui devrait être centrale est partiellement occultée.

Quels besoins concrets notre projet veut-il mieux servir?

Force est de constater que le déploiement de la toute nouvelle technologie n’est pas toujours le meilleur moyen de servir ces besoins. Heureusement, dans notre cas, la plateforme développée répond assez bien aux besoins informationnels des travailleurs humanitaires… même si l’IA ne s’y applique pas!

François Claveau et Guillaume Dandurand présenteront leurs résultats à 14 h, le mercredi 29 mai 2019, sous le thème La transformation de la dynamique sociétale par l’IA, au 87e congrès de l’Acfas.


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