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Acfas 2021

Faire parler les mots qui fâchent

« Comme chercheuse, j’ai un réflexe : quand je suis décontenancée par un sujet, je le transforme en question de recherche », indique Nadine Vincent, professeure au Département de communication.
« Comme chercheuse, j’ai un réflexe : quand je suis décontenancée par un sujet, je le transforme en question de recherche », indique Nadine Vincent, professeure au Département de communication.
Photo : Michel Caron - UdeS

Woke, racisé, boomer : tour à tour portées en étendard ou lancées en insulte, ces appellations au sens fluctuant reflètent des luttes parfois profondes. En examiner les enjeux et les effets avec un œil scientifique est un des objectifs du colloque Regards linguistiques sur les mots polémiques.

« Dans les conversations en ligne qui parlent des autres ou aux autres, je lis une fracture, un éclatement, une opposition qui me troublent », confesse Nadine Vincent. La professeure du Département de communication se dit surprise de ce « redécoupage de l’humanité ».

Chaque personne est nommée selon des caractéristiques bien précises de son identité, par exemple son origine ou ses habitudes alimentaires. Elle est presque enfermée dans cette case, et la communication avec d’autres est difficile.

Nadine Vincent, chercheuse à la Faculté des lettres et sciences humaines

Comme linguiste, Nadine a une conscience aigüe du pouvoir des dénominations : se faire nommer, c’est exister dans l’espace public, qu’on soit un objet, un groupe social ou une idée. « Nos noms nous catégorisent rapidement; ils nous légitiment ou nous infériorisent, selon la manière dont ils ont été choisis », explique-t-elle en citant l’exemple des Autochtones « baptisés » par les premiers colons.

Les dénominations occupent un rôle fondamental dans notre construction du monde : elles y participent autant qu’elles en découlent.

Chaque fois qu’un mot déclenche les débats et creuse les fossés, la linguiste voit son trouble se raviver. « Comme chercheuse, j’ai un réflexe : quand je suis décontenancée par un sujet, je le transforme en question de recherche », indique-t-elle en riant.

Dans une société qui m’apparait surdivisée, les sens attribués à un mot changent énormément selon qui l’utilise, en s’adressant à qui et quand. Je me suis demandé : “Un dictionnaire pourrait-il rendre compte de la vision de chacun?”

Est ainsi né un projet : un dictionnaire multifacette.

Le vocabulaire bouge vite dans l’espace public actuellement. Les gens ont besoin de repères, mais contestent en même temps la légitimité des dictionnaires.

D’après la professeure Vincent, cette critique découle, entre autres, du fait que les dictionnaires représentent l’autorité, autant linguistique que politique : « Les dictionnaires définissent les mots selon le sens que la majorité leur attribue et véhiculent ainsi, par défaut, les paroles dominantes. »

Le dictionnaire, un portrait social

Créer un dictionnaire, soit le travail des lexicographes, confère donc un gigantesque pouvoir… et une responsabilité équivalente.

La lexicographie, c’est prendre un instantané des valeurs d’une société.

Et la société, en ce moment, semble vouloir redéfinir la parole publique et accorder une plus grande part à ce que Nadine appelle « les voix minorées ». Même si ces défis « dépassent largement le cadre de la langue », elle tentera d’ajuster en conséquence la lexicographie, en prenant comme cas d’exemple le mot woke. Ce mot, souvent absent des ouvrages de référence, a subi de multiples et rapides évolutions de sens.

Le pari de la chercheuse allie son intérêt pour ce que la langue contient de potentiel pour le vivre-ensemble et ses outils de lexicographe. Si elle ignore encore où la démarche la mènera, elle sait que ses premiers résultats seront présentés lors du colloque qu’elle coorganise avec Geneviève Bernard Barbeau, qui est sa collègue au sein du Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec et professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

Les mots polémiques vus par des scientifiques

Ce colloque, intitulé Regards linguistiques sur les mots polémiques, mettra en perspective différentes questions difficiles sur la langue. « Dans les débats récents, les médias publiaient beaucoup de textes d’opinion, souvent polarisés, mais peu d’analyses portées par l’expertise scientifique de linguistes. »

La spécialisation des linguistes leur permet de discerner des tendances ou des ruptures. Elle offre un certain détachement et des outils d’observation objectifs de réalités autrement assez sensibles.

Certaines communications prévues au colloque décrivent des phénomènes linguistiques, par exemple l’évolution des dénominations pour les Autochtones ou les défis derrière le genre du mot COVID.

D’autres, liés à la sociolinguistique, touchent les enjeux sociaux du langage, comme l’équilibre entre banalisation et prudence juridique dans l’expression inconduites sexuelles ou les effets adverses de la notion de réconciliation entre Autochtones et allochtones.

Envie d’en savoir plus?
Le colloque Regards linguistiques sur les mots polémiques, pour lequel Nadine Vincent est coresponsable, sera présenté les lundi 3 et mardi 4 mai 2021, dans le cadre du prochain congrès annuel de l’ACFAS, plus grand rassemblement multidisciplinaire du savoir et de la recherche de la francophonie.


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