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Recherche en génie de l'environnement

Des champignons pour contrer les polluants émergents

Hubert Cabana, professeur au Département de génie civil
Hubert Cabana, professeur au Département de génie civil
Photo : Michel Caron

Triclosane, bisphénol A et nonylphénol. Voilà trois noms qui ne vous sont probablement pas très familiers, mais qui se retrouvent sans doute chez vous. Le premier est un composé chimique utilisé comme agent antimicrobien dans bon nombre de produits de soins corporels tels que les dentifrices et les antisudorifiques; le second est un monomère présent dans certains plastiques et le dernier est un agent chimique faisant mousser certains détergents. Ces trois polluants émergents – comme bien d'autres – ne sont pas traités par les usines d'épuration et s'échappent en très faible quantité dans la nature sans qu'on en connaisse les impacts réels. On les soupçonne toutefois de menacer l'équilibre hormonal de certaines espèces vivantes.

Hubert Cabana, professeur à la Faculté de génie de l'Université de Sherbrooke, s'intéresse à ces polluants sous deux aspects. D'une part, il travaille à des méthodes pour détecter et quantifier ce type de polluant émergent dans l'environnement. D'autre part, il développe des moyens pour éliminer ces phénols par une solution inspirée de certains champignons.

Un atome dans une botte de foin

On connaît mal la portée de la contamination environnementale par ces polluants émergents et leurs effets sur les écosystèmes et encore moins sur la santé humaine. Ces contaminants non normés et difficilement quantifiables sont présents en nombre plus qu'infime dans les cours eau. «Ces polluants sont de nature très diverse : ils vont de la caféine aux agents antimicrobiens en passant par des médicaments et des produits d'épandage agricole, explique Hubert Cabana. Toutefois, on trouve ces contaminants en concentration extrêmement faible : d'une moitié de nanogramme par litre à une dizaine de microgrammes par litre (un microgramme équivaut à un millionième de gramme). À cette échelle, le défi n'est plus de trouver une aiguille dans une botte de foin, mais un atome dans une botte de foin!»

Le chercheur au Laboratoire de génie de l'environnement du Département de génie civil poursuit : «Au Québec, on considère souvent que l'eau est disponible en quantité abondante. Jusqu'à maintenant, très peu d'études de caractérisation des cours d'eau portant sur l'identification et la quantification de ces contaminants ont été réalisées chez nous, contrairement à certaines régions d'Europe comme la vallée du Rhin. Une partie de nos travaux vise donc à développer des méthodes analytiques permettant la caractérisation de ces milieux pour savoir où se trouvent les contaminants dans nos cours d'eau et en quelle quantité.»

Les substances perturbatrices du système endocrinien dans la mire

Les polluants émergents forment un véritable cocktail dont les effets réels et l'interaction des composantes sont méconnus. En revanche, on connaît un peu mieux les effets des composés phénoliques que sont le triclosane, le bisphénol A et le nonylphénol : «Ces substances sont suspectées d'agir comme des perturbateurs endocriniens, c'est-à-dire qu'elles interviennent comme des hormones, en perturbant l'envoi de signaux biologiques chez certaines espèces, explique le professeur. Dans certains milieux aquatiques, la présence de ces contaminants pourrait être liée à la féminisation chez certaines espèces de poisson. Par exemple, on a constaté chez des poissons des Grands Lacs une diminution de la taille des gonades – organes reproducteurs chez les poissons mâles.»

Pour éliminer ces phénols nuisibles des eaux usées industrielles et municipales, Hubert Cabana croit qu'une solution réside dans les champignons qui vivent sur l'écorce des arbres : «Il faut savoir que le bois – et en particulier l'un de ses constituants, un biopolymère appelé la lignine – est un matériau hypercomplexe et très difficile à transformer par des moyens biologiques ou chimiques. Or, certains champignons ont la capacité de transformer la chaîne polymérique de la lignine, qui elle-même contient beaucoup de phénol.»

Le chercheur veut donc employer des enzymes dont l'origine biologique se trouve dans des champignons communs, comme le pleurote ou le shiitake, pour s'attaquer à ces contaminants phénoliques. Mais contrairement au champignon qui se fixe solidement aux arbres, le défi est de déployer efficacement les enzymes dans une usine de traitement des eaux usées sans les perdre dans l'eau à traiter.

Billes de verre

L'équipe d'Hubert Cabana doit donc déployer des stratégies pour immobiliser les enzymes fongiques. «Il faut faire en sorte de prendre ces éléments solubles et de les rendre insolubles de façon à pouvoir les confiner dans des unités de traitement et de viser à améliorer leurs propriétés, telles que la stabilité vis-à vis des éléments dénaturants présents dans les eaux usées, dit le chercheur. Pour atteindre cet objectif, l'un des moyens envisagés est de fixer les enzymes sur un support solide, par exemple, sur des billes de verre, du sable ou de l'argile.»

À terme, le projet pourrait permettre de mettre au point des bioréacteurs environnementaux, faciles à implanter, et dont le coût serait le moins élevé possible. Cela pourrait permettre un jour d'optimiser les stratégies de traitement des eaux usées pour éliminer naturellement ces contaminants émergents.