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Pesticides en agriculture

Les hirondelles en ont long à dire

Les hirondelles bicolores ont été étudiées pendant les six dernières années par l'équipe de recherche.
Les hirondelles bicolores ont été étudiées pendant les six dernières années par l'équipe de recherche.
Photo : fournie gracieusement par Andréanne Lessard

À l’heure où Santé Canada se questionne à nouveau sur l’usage du glyphosate, une équipe de chercheurs et de chercheuses en biologie et en chimie de la Faculté des sciences de l’UdeS vient de dévoiler les résultats d’une importante étude, qui renforce les arguments en faveur d’une diminution des pesticides en agriculture.

En effet, l’équipe a passé les six dernières années à étudier les hirondelles bicolores dans 40 fermes du Québec couvrant 10 000 kilomètres carrés de terres agricoles et d’environnement rural. Sous la loupe : les insectes que les hirondelles apportent à leurs petits pour les nourrir. Ils ont trouvé des traces d'au moins un des 54 produits chimiques et pesticides qu'ils suivaient dans 46 % des bolus d'insectes – la boule d'insectes que les parents apportent à leurs oisillons.

En zone agricole, les pesticides voyagent à travers les réseaux trophiques (de nutrition) des populations fauniques locales et peuvent les affecter négativement. Toutefois, peu d'études ont documenté l’exposition aux pesticides sur les espèces aviaires sauvages, et la plupart sont réalisées avec des aliments traités en laboratoire, et non en milieu naturel. D'autres études ont analysé les pesticides dans le sol et l'eau, mais peu se sont concentrées sur leur présence dans la chaîne alimentaire des oiseaux.

Or cette vaste étude sur des hirondelles sauvages vivant dans un paysage agraire au Québec, publiée en juillet dans la revue Ecological Applications, permet justement d’évaluer la présence des pesticides dans les réseaux trophiques. Chaque ferme du territoire étudié abritait 10 nichoirs à hirondelles bicolores. L’équipe a ainsi pu avoir un aperçu de l'effet de l'exposition aux pesticides sur les populations d'oiseaux en milieu naturel.

La professeure Fanie Pelletier du Département de biologie de la Faculté des sciences.
La professeure Fanie Pelletier du Département de biologie de la Faculté des sciences.
Photo : Michel Caron UdeS

« Nous avons étudié les hirondelles bicolores sur un très grand territoire; il s'agit de l'une des plus grandes études à long terme sur la présence de pesticides », explique la Pre Fanie Pelletier du Département de biologie. « Chaque ferme a été sélectionnée pour représenter la diversité de l'agriculture. Certaines d'entre elles se trouvent dans des zones agricoles très intensives – juste un désert de maïs et de soja. Et d'autres sont sur de plus petits pâturages avec du bétail. »

L’équipe a ainsi surveillé les nichoirs et prélevé des bolus d'insectes de chaque nid, mais à raison de seulement trois bolus par nid par jour afin de protéger les oisillons et d'éviter que leurs méthodes n'affectent la santé et la survie des nids.

Même si l’étude demeure une approximation indirecte de ce que les hirondelles ont dans leur circulation sanguine, il s'agit d'une représentation à grande échelle de l'étendue de l'exposition aux pesticides, explique la professeure Pelletier. « Nous voulions examiner les insectes exacts que le parent apportait aux oisillons, mais nous ne voulions pas sacrifier les oisillons pour tester le contenu de leur estomac. »

Nous avons trouvé des pesticides partout, même dans les fermes les moins intensives en pesticides.

Professeure Fanie Pelletier

C’est d’ailleurs ce qui surprend le plus le professeur Jean-Philippe Bellenger du Département de chimie, qui a lui aussi participé à ces travaux de recherche.

Ce qui est étonnant, c’est l’omniprésence des contaminants détectés même sur des fermes où l’utilisation de pesticides est à priori limitée.

Professeur Jean-Philippe Bellenger

Malgré l'omniprésence des pesticides, pour l’instant, l’équipe de recherche n'a trouvé aucun effet direct de ceux-ci sur la survie, la reproduction ou le succès du nid. Pour Fanie Pelletier, cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’effet. Elle croit que cela est probablement dû au fait qu'ils n'ont pas pu quantifier directement chaque pesticide que les oisillons ingèrent; de plus, ils n'ont pas tenu compte d'autres facteurs environnementaux et physiologiques qui peuvent affecter la santé d'un oisillon et le rendre plus sujet aux effets des pesticides.

« Nous n'avons échantillonné que quelques bolus; c'est très loin de la quantité totale de pesticides auxquels les oiseaux sont exposés pendant la nidification. Afin de vraiment quantifier les effets, vous devez être en mesure de mesurer la quantité de pesticides qu'ils consomment réellement. Cette étude était une première étape énorme; nous devons commencer quelque part. »

En fait, selon le professeur Jean-Philippe Bellenger, cette étude montre entre autres que les comportements alimentaires contribuent à la dispersion des pesticides dans l’environnement. Or les hirondelles bicolores nous en disent long aussi sur l’étendue du problème. « Ces résultats confirment que les pesticides se diffusent en dehors des zones où ils sont appliqués et que les vecteurs de transfert vers la chaine alimentaire sont très nombreux. »

L’équipe de chercheurs et chercheuses qui a participé à cette étude provient des départements de biologie et de chimie de la Faculté des sciences de l’Université de Sherbrooke : Pre Fanie Pelletier, Pr Marc Belisle, Pr Dany Garant, Pr Jean-Philippe Bellenger, Marie-Christine Poisson, Daniel R. Garrett, Audrey Sigouin et Lounès Haroun.


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