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Révolutionner la chimie grâce à des lasers ultrarapides

Pr André Bandrauk
Pr André Bandrauk
Photo : Michel Caron

Que la lumière puisse être utilisée pour créer de nouvelles liaisons chimiques entre les atomes, on l’avait démontré à l’aide de théories, mais on n’avait pas encore réussi à le reproduire en laboratoire. C’est maintenant chose faite, et l’un de nos professeurs, le chimiste théoricien André Bandrauk, était aux premières loges.

André Bandrauk, professeur à la Faculté des sciences, a participé à une étude révolutionnaire publiée dans la prestigieuse revue Nature Communications. En collaboration avec des collègues d'Allemagne et d'Ottawa, le chercheur a démontré que la lumière peut être utilisée pour modeler l'intensité des interactions entre les atomes, ce qui ouvre la voie à de grandes avancées de recherches, entre autres dans les domaines de la chimie, de la biologie et de la science des matériaux.

Les molécules sont des assemblages d'atomes liés ensemble par des forces (appelées interactions attractives) qui agissent comme une sorte de colle qui empêche les atomes de s’éloigner les uns des autres.  Il existe aussi des forces répulsives qui, au contraire, font que certains atomes ou molécules ne se collent pas (de la même façon que l'eau et l'huile ne se mélangent pas).

Pendant des centaines d’années, c'était le rôle des alchimistes, puis des chimistes de façonner de nouvelles molécules en exploitant ces interactions attractives et répulsives, commente le professeur Jérôme Claverie, directeur du Département de chimie. Dans cette nouvelle contribution à la science, l’équipe a démontré pour la première fois qu'en utilisant plusieurs lumières laser ultrarapides et intenses, il est possible de moduler ces interactions, rendant certaines plus fortes et d'autres moins fortes, et ainsi de complètement réécrire notre façon de concevoir la chimie.

          Professeur Jérôme Claverie, directeur du Département de chimie de l’Université de Sherbrooke

Les molécules quantiques en attoseconde

Les molécules sont des machines quantiques où les mouvements électroniques évoluent à l’échelle de l’attoseconde (10-18s) et où les noyaux les accompagnent sur des potentiels électroniques au moins mille fois plus lentement, menant ainsi à des réactions chimiques à l’échelle de la femtoseconde(10-15s). Le contrôle ultime électronique des réactions chimiques requiert donc des impulsions laser ultrarapides qui sont d’ailleurs générées elles-mêmes par des lasers intenses qui mènent à l’ionisation et à la re-collision électronique et aussi à la génération d’harmoniques, sources des nouvelles impulsions attosecondes.

Pendant l’émission ultrarapide de ce rayonnement, les potentiels électroniques des molécules sur lesquels se meuvent les noyaux sont fortement perturbés, introduisant souvent des formes coniques multidimensionnelles, et créant ainsi souvent de nouvelles liaisons chimiques.

Nous avions prédit dans mon laboratoire, grâce à la modélisation quantique, que ce contrôle électronique des réactions chimiques était possible, et ce, dès 1981. Cette nouvelle idée apparaissait également déjà dans le premier livre que j’ai publié en 1994, Molecules in Laser Fields[i]. Il est extrêmement intéressant pour un chercheur comme moi de participer aux expériences qui prouvent ces théories dans la pratique.

          Professeur André Bandrauk

Après 40 ans, grâce au progrès de la technologie laser intense et les ordinateurs à haute performance, l’article de Nature Communications rapporte le résultat d’une collaboration à la fois expérimentale et théorique menant à la première visualisation et au contrôle électronique de dissociation-ionisation moléculaire aux échelles citées précédemment. L’article prédit que la découverte, soit l’application des nouveaux outils expérimentaux en technologie laser ultrarapide et intense appuyée par des modèles quantiques et simulations numériques hautement non linéaires à la nouvelle échelle de l’attoseconde, devrait mener à l’émergence de nouvelles pistes de recherche pour le contrôle ultime de la nature quantique de l’électron en chimie et même en biologie.

Professeur André Bandrauk

André Bandrauk est reconnu mondialement en tant que pionnier de la chimie de l’attoseconde. Ses recherches ayant été citées plus de 20 000 fois, il a reçu au long de sa carrière plusieurs prix et nominations prestigieuses aux échelles nationale et internationale.  Il a entre autres reçu un doctorat honoris causa de l’Université libre de Berlin, le Prix du Québec (prix Marie-Victorin) et le titre d’officier de l’Ordre du Canada pour son rôle en tant que fondateur de la science attoseconde.


[i]A Dekker Pub,NY