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Acfas 2019

Le hockey pour les jeunes contrevenants : qu’est-ce qui change sous le casque?

Photo : Michel Caron

Pour aider les jeunes contrevenants à réintégrer la société, les Centres jeunesse du Québec misent notamment sur le sport. Est-ce une approche gagnante? L’analyse de Michel-Alexandre Rioux révèle que ce ne serait qu’un prétexte, dans les faits, afin que les jeunes repensent leur regard sur eux-mêmes.

Compte tenu des difficultés rencontrées par les jeunes bénéficiaires des Centres jeunesse dans leurs relations interpersonnelles, les activités menées par ces centres sont guidées par le paradigme de l'intégration sociale. Les jeunes qu’ils accueillent présentent, pour la plupart, des comportements perturbateurs, qui peuvent parfois avoir pour conséquence la violation des droits fondamentaux d’autrui, des normes ou des règles sociales. Une portion appréciable de la clientèle est constituée de jeunes ayant des comportements perturbateurs ou ayant commis des délits.

Au cours des dernières années, les Centres jeunesse ont donc mis sur pieds plusieurs programmes d’intégration sociale visant entre autres choses l’exploration et l’expression des émotions, le développement d’habiletés sociales et la familiarisation avec les ressources communautaires. Diverses interventions sont organisées par le biais de groupes de discussion, de jeux de rôle et d’expérimentations. Et dans certains Centres jeunesse, comme celui du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal, l’une de ces interventions est le hockey.

Michel-Alexandre Rioux
Michel-Alexandre Rioux
Photo : fournie

« Mais cela n’a jamais été évalué », signale Michel-Alexandre Rioux, étudiant au doctorat en psychologie au Campus de Longueuil. Entamant la dernière partie de son doctorat spécialisé en intervention auprès des enfants et des adolescents, il a voulu remédier à la situation.

Ouvrir la boîte noire d’une intervention

Plusieurs initiatives basées sur le sport, comme le Grand Défi Pierre-lavoie et le projet Oxygène de Motivaction jeunesse, ont cours dans les centres jeunesse du Québec depuis plusieurs années. Et certaines d’entre elles nécessitent un important financement. « C’est étonnant qu’il n’y ait pas eu d’évaluation scientifique de cette approche, souligne Michel-Alexandre. C’est pourtant essentiel de mieux comprendre le fonctionnement des interventions pour maximiser leur efficacité auprès des jeunes. »

Une partie de sa recherche a consisté en une revue de littérature. Après avoir passé au peigne fin plusieurs recherches, le doctorant a pu dégager certains facteurs qui aident à mieux comprendre comment fonctionne une intervention basée sur le sport. « Mais aucune base théorique ne nous permet d’établir avec exactitude pourquoi ce type d’intervention peut avoir un impact spécifique sur la réhabilitation. Comment capter les changements survenus chez les jeunes? Et si changement il y a, à quoi cela est relié? Est-ce que ces observations s’expliquent uniquement à travers la perception des intervenants? »

Pour obtenir des réponses, Michel-Alexandre a voulu évaluer sur place une intervention de réadaptation en contexte de sport, ce qu’il a pu faire à titre d’étudiant-chercheur à l’Institut Universitaire Jeunes en difficulté dans le cadre de son dernier stage réalisé au Centre jeunesse du Centre-Sud-de-l’île-de-Montréal. Depuis 2010, ce Centre jeunesse de Montréal pratique des interventions basées sur le hockey sur glace, un programme d’une durée de 25 semaines.

L’étudiant-chercheur fonde sa démarche sur «la théorie du programme».  Avec les intervenants impliqués dans l’activité, Michel-Alexandre a procédé à un « concept mapping », une sorte de représentation visuelle des relations entre les sujets, pour aider à se représenter la pensée du groupe. Des concepts ont ainsi été générés; après avoir été articulés entre eux, la théorie du programme a été mise en place.  « Cela permet d’ouvrir la boîte noire du programme et d’attribuer les changements – ou l’absence de changement – à des variables spécifiques du programme. »

Dans une deuxième phase, Michel-Alexandre Rioux a été amené à jouer au hockey avec les jeunes du programme et, parfois, à assister les intervenants praticiens. Pendant cette période d’octobre 2016 à avril 2017, cinq jeunes ont été suivis. Entre autres choses, l’étudiant a demandé aux jeunes d’identifier des moments qu’ils ont jugés marquants. « C’est à partir de là qu’on a pu commencer à identifier le changement, par l’analyse du discours des participants. »

« Je ne pensais plus avoir de bon »

Une analyse à la fois syntaxique (avant je pensais comme ça, maintenant je pense comme ça), sémantique (parler d’une même chose mais de manière différente) et phénoménologique a permis de donner du sens aux changements observés. Le plus vieux du groupe, qui avait commis des crimes plus graves, semble avoir eu un impact déterminant au niveau de la recherche mais aussi sur l’étudiant-chercheur…

« Il avait été jumelé avec le plus jeune du groupe, raconte Michel-Alexandre Rioux. Ce jeune lui a demandé de devenir son grand frère, de s’occuper de lui. Cette demande inusitée a eu un effet tangible sur cet homme qui est venu me dire : «Je ne pensais pas qu’après tout ce que j’ai fait, je pensais avoir encore du bon. »

« Ce fut quelque chose de très marquant pour lui. Il a commencé à s’expliquer autrement à lui-même. Aujourd’hui, il se raconte différemment. Il se voit différemment, ce qui est un début à tout changement. En somme, ce n’est pas tant l’intervention que ce qui se produit PENDANT cette intervention qui suscite des réactions et des possibilités d’évolution, selon qui nous sommes et d’où on vient. C’est ce que j’appelle la théorie subjective. »

Les travaux de Michel-Alexandre apportent un éclairage différent sur les interventions axées sur le sport, en centres jeunesse et même ailleurs.

« Le pilier de ces interventions n’est pas le sport, car le sport n’a pas de vertus dans ce contexte de réintégration sociale. Je voudrais que les intervenants soient davantage réalistes face à leurs pratiques. Je pense qu’il est grand temps qu’on aborde et qu’on utilise le sport, comme les autres activités qui sont prétextes à la réintégration sociale, de manière différente », espère le futur clinicien.

Les travaux de Michel-Alexandre Rioux sont dirigés par Catherine Laurier, professeure en psychoéducation à la Faculté d’éducation ainsi que par Miguel Terradas, professeur en psychologie à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Sherbrooke. Michel-Alexandre présente le résultat de son analyse ce jeudi 31 mai dans le cadre du colloque L’activité physique : une stratégie de promotion et de gestion de la santé mentale, au congrès de l’Acfas.


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