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La qualité de la neige évolue-t-elle avec le climat?

Alain Royer examinant les grains de neige de la toundra au nord d’Inuvik, TNO (69°N)
Alain Royer examinant les grains de neige de la toundra au nord d’Inuvik, TNO (69°N)
Photo : fournie

C’est la question qu’explorent Alain Royer et Alexandre Langlois, professeurs au Département de géomatique de l'Université de Sherbrooke, dans l’Arctique canadien avec leurs étudiants.

Cette propriété isolante de la neige est bien connue des Inuits qui se protègent du froid dans un igloo. Le manteau neigeux protège ainsi le sol du froid polaire durant tout l’hiver. Mais, sous l’effet soutenu et important du réchauffement climatique observé dans l’Arctique depuis près de 70 ans (+1.7 °C en moyenne l’été depuis 1948, ECCC), la toundra se verdit l’été.

Une prolifération d'arbustes

Ce phénomène « d’arbustation », comme l’appelle les écologistes, se traduit par une croissance de petits arbustes de plus en plus étendue, là où, il y a à peine 40-50 ans, il n’y avait que de la toundra désertique. Or, il se trouve que ces arbustes ont un effet significatif sur la neige durant l’hiver. C’est ce qu’ont observé les deux professeurs de géomatique lors de plusieurs campagnes de terrain ces dernières années, près d’Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest, à Cambridge Bay au Nunavut (69°N), à Churchill au Manitoba et au Nunavik (Nord du Québec).

Givre de profondeur associé à la présence de petits arbustes (Cambridge Bay, avril 2018)
Givre de profondeur associé à la présence de petits arbustes (Cambridge Bay, avril 2018)
Photo : fournie

«Ces arbustes ont un double effet. D’une part, ils ''trappent'' la neige en la protégeant du vent, et donc augmentent la hauteur de neige. Cette augmentation de hauteur de neige entraîne une plus forte isolation du sol par rapport aux zones sans arbustes où la neige est soufflée, explique le professeur Royer. Mais d’autre part, ces arbustes ont un impact indirect, peu connu, sur les propriétés de la neige. Ils modifient en effet l’évolution durant l’hiver de la métamorphose des grains de neige au niveau du sol vers une augmentation de la taille des grains, que l’on appelle le ''givre de profondeur''».

La métamorphose des grains de neige : du flocon en étoile (à gauche) vers le givre de profondeur en gobelet (au centre) au grain arrondi en fusion (à droite).
La métamorphose des grains de neige : du flocon en étoile (à gauche) vers le givre de profondeur en gobelet (au centre) au grain arrondi en fusion (à droite).
Photo : fournie

Ces grains de glace qui peuvent être énormes, jusqu’à 5 ou 6 millimètres, aux formes géométriques extraordinaires de colonnes ou de gobelets (cristaux pyramidaux à base hexagonale produits par givrage de la vapeur d’eau dans la neige sous l’effet d’un fort gradient thermique) confèrent à la neige une plus faible densité, soit une plus faible conductivité thermique. Ce « givre » accentue ainsi les propriétés isolantes de la neige.

Une bombe à retardement

Givre de profondeur vu en transparence
Givre de profondeur vu en transparence
Photo : fournie

Aucun modèle de prévision du climat ne prend en compte ces processus d’augmentation de l’isolation de la neige arctique résultant de celui de l’arbustation. L’enjeu est majeur, car ces processus pourraient générer une augmentation de la température du sol arctique plus importante que celle prévue actuellement. Dans 50 à 100 ans, ce phénomène d’amplification pourrait-il accélérer la fonte du pergélisol? Le pergélisol, c’est ce gigantesque réservoir de sol organique gelé sur tout le pourtour arctique (contenant deux fois plus de carbone que dans l’atmosphère) : s’il venait à fondre, il libèrerait une quantité de carbone phénoménale dans l’atmosphère, accentuant l’effet de serre bien connu. Certains parlent de « bombe à retardement ». Ces effets d’amplification potentielle du réchauffement climatique (rétroactions positives) des régions polaires restent encore une grande incertitude dans la prévision du climat.

Mieux connaitre et quantifier ces processus devraient permettre de mieux prévoir l’avenir du climat. Les projets de recherche des professeurs Alain Royer et Alexandre Langlois visent à caractériser ces changements du couvert nival par télédétection satellite.

Projets financés par le CRSNG Canada, le nouveau ministère pour l’Arctique : « Savoir Polaire Canada », le Fonds canadien pour l’Innovation et le FRQ-NT.