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Adoption et procréation assistée

Le droit de l’enfant québécois à connaître ses origines demeure très restrictif

La professeure Carmen Lavallée
La professeure Carmen Lavallée
Photo : Faculté de droit

Un homme de 55 ans, né à l’orphelinat et adopté au berceau, entreprend des démarches pour retrouver sa mère biologique et ses éventuels demi-frères ou demi-sœurs. Après quelques semaines, il obtient une réponse sans appel des services sociaux : sa mère biologique étant décédée, la loi empêche qu’on lui révèle son identité.

Chez nous, ce type de cas est assez répandu. Pourtant, le droit international reconnaît aux enfants le droit de connaître leurs origines depuis longtemps : le Canada a ratifié la Convention internationale relative aux droits de l’enfant dès 1992, et le Québec s’est engagé à s’y conformer. Mais, encore aujourd’hui, la législation québécoise demeure très restrictive en cette matière. Pour que des retrouvailles soient possibles, le double consentement – à la fois celui du parent biologique et de l’enfant adopté – est requis. Si l’une des personnes refuse de donner son consentement, ou ne peut le faire, le dossier est définitivement clos et l’information ne sera jamais transmise.

Dans un autre type de cas, celui des personnes nées par procréation assistée, la loi prévoit que l’identité d’un géniteur demeure secrète, sauf exception. Le Canada fait l’objet de critiques du comité des droits de l’enfant de l’ONU pour certaines de ses législations qui contreviennent aux principes de la CIRDE quant à l’accès à la connaissance de ses origines.

Autres temps, autres mœurs

La professeure Carmen Lavallée, de la Faculté de droit, est spécialiste de ces questions. «Les règles actuelles sur l’adoption se fondent sur les pratiques qui prévalaient il y a plusieurs décennies, dit-elle. À cette époque, une espèce de contrat social garantissait le secret absolu aux femmes qui avaient des enfants hors mariage et qui consentaient à leur adoption. Il arrivait fréquemment que les curés, chargés de rédiger les actes de naissance, indiquaient que l’enfant était né de parents inconnus. De nos jours, le contexte social est complètement différent, mais le législateur doit quand même avoir le souci de protéger ces femmes qui peuvent avoir 75, 80 ou 85 ans, en considérant également leur droit au respect de leur vie privée. En revanche, la CIRDE a fait émerger le principe selon lequel l’enfant a le droit de connaître ses origines, un droit qui fait également partie de la vie privée. Le défi du législateur, s’il veut changer la loi, est de trouver un point d’équilibre entre ces deux enjeux.»

Favoriser l’accès à l’information

Diverses pistes ont été explorées pour faciliter la connaissance de ses origines. Ces dispositions feraient en sorte de rendre les lois québécoises mieux arrimées aux principes de la CIRDE.

«Certaines idées ont été discutées en commission parlementaire au cours des dernières années, dit Carmen Lavallée. Elles tendent vers un renversement du principe du double consentement à dévoiler l’information. Dans le nouveau modèle, l’information serait accessible, à moins que l’une des deux personnes ne mette son veto. De plus, le veto serait possible sur deux aspects : l’information et le contact. Ainsi, par exemple, une mère pourrait accepter que l’enfant soit informé de son identité, tout en maintenant un veto sur le contact, empêchant l’enfant de la rencontrer.»

Carmen Lavallée mentionne que la plupart des provinces canadiennes ont déjà accepté un tel système de vetos. De plus, en cas de décès, le veto serait levé après une année, ouvrant la possibilité à un enfant d’obtenir l’information, plutôt que d’être tenu à un secret définitif.

Procréation assistée : peu d’ouverture

En vertu de la loi québécoise, les enfants nés par procréation assistée ne peuvent pas connaître l’identité des donneurs de gamètes, à moins de démontrer qu’un préjudice grave les menace ou les affecte. Toutefois, certaines situations entraînent des brèches. Une clinique de fertilité qui recourt à des banques de donneurs de sperme américains peut transmettre des renseignements, puisque la législation de certains États le permet.

«Alors que la législation québécoise est très restrictive, certains pays, comme la Suède, autorisent que l’information nominative puisse être transmise, dit la professeure. Cela n’entraîne pas de lien de filiation ou d’effets juridiques, mais cette approche offre une plus grande transparence et peut avoir un effet rassurant pour certaines personnes.»

Il n’y a pas de réelle ouverture à adopter des mesures semblables chez nous. Toutefois, les tribunaux, ailleurs au Canada, ont été saisis à quelques reprises par des personnes nées à la suite du recours à la procréation assistée et qui souhaitaient obtenir des informations sur leurs géniteurs. «Cela démontre qu’il y a une certaine pression sur le législateur», dit Carmen Lavallée.

Quand le secret ne tient plus la route

Plusieurs cas de figure très actuels qui touchent à l’adoption internationale, aux familles homoparentales ou à la procréation assistée mettent en relief la nécessité de revoir la législation, selon Carmen Lavallée.

«Le cadre historique réfère à l’idée de famille légitime où l’enfant était celui de ses parents mariés, et où on pouvait dissimuler le fait que l’enfant n’était pas né de ses parents. Mais de nos jours, cette idée du secret n’est plus défendable. Si on pense aux enfants d’un couple homosexuel, l’absence d’un parent de l’autre sexe peut être questionnée par l’entourage. Même chose pour la différence ethnique d’un enfant adopté à l’étranger. On ne peut plus faire comme autrefois où il n’existait qu’un seul modèle familial reconnu», évoque-t-elle.

Avec l’éclatement des modèles familiaux, de nouveaux enjeux sur les liens de filiation sont soulevés. Des situations spécifiques amènent les juristes à se poser une question singulière : un enfant peut-il avoir plus de deux parents? Un tribunal ontarien a déjà statué qu’un enfant pouvait avoir deux mères et un père. Dans certains travaux auxquels a contribué la professeure Lavallée, on a déjà envisagé une forme d’adoption additive, pour répondre à des besoins particuliers.

«Prenons l’exemple d’un enfant dont le père meurt dans un accident d’auto, dit-elle. Peu après, les grands-parents paternels gardent un lien étroit avec l’enfant, mais deux ans plus tard, la mère a un nouveau conjoint et l’enfant est adopté par celui-ci. Selon la législation actuelle, le lien avec la famille du père biologique est rompu. Pourtant, il peut être dans l’intérêt de l’enfant de maintenir un lien de droit avec la famille de son père décédé.»

Dans cette veine, Carmen Lavallée mène des recherches inédites sur l’adoption intrafamiliale, un phénomène méconnu, et qui tend à prendre une place grandissante. «Depuis trois ou quatre ans, les statistiques montrent une baisse du nombre de cas d’adoption internationale, dit-elle. Selon une recherche en cours, à partir des données de quelque 850 dossiers, il semble que l’adoption intrafamiliale (souvent l’enfant du conjoint) est un phénomène plus fréquent qu’on le pense. Cette recherche qualitative vise à mieux cerner la réalité vécue par ces familles et les juristes qui les ont côtoyées. C’est un phénomène qu’on connaît très mal puisqu’aucune étude n’a encore été publiée à ce sujet au Québec.»

Ces travaux devraient fournir un nouvel éclairage au législateur dans l’optique de revoir le cadre légal de l’adoption, selon la perspective de la nouvelle réalité des familles québécoises.

Les personnes qui seraient intéressées à participer à la recherche sur l’adoption intrafamiliale peuvent envoyer un message courriel à l’adresse rechercheadoption@usherbrooke.ca ou laisser un message vocal au 821-8000, poste 66549.