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Pirates des côtes somaliennes et Zergs de StarCraft : même combat!

Un support décisionnel intelligent pour les forces armées par des informaticiens de l’UdeS

À l'avant, les étudiants Julien Filion, Francis Bisson et Simon Chamberland, et le professeur Froduald Kabanza. Derrière, Philipe Bellefeuille, professionnel de recherche.
À l'avant, les étudiants Julien Filion, Francis Bisson et Simon Chamberland, et le professeur Froduald Kabanza. Derrière, Philipe Bellefeuille, professionnel de recherche.
Photo : Michel Caron

Quelle différence y a-t-il entre l’obstruction d’un acte de piraterie par une frégate canadienne au large de la côte somalienne et la défense contre une invasion de Zergs du monde futuriste du jeu vidéo StarCraft, l’un des jeux de stratégie les plus populaires au monde? Aucune en ce qui concerne l’évaluation des menaces.

Tant l’officier militaire devant son écran radar que le joueur professionnel d’un tournoi mondial voient sur leur écran des représentations d’objets en mouvement qu’ils doivent identifier et en évaluer la menace selon trois critères : intention, capacité, opportunité. Cette identification et cette classification leur permettront d’apporter la meilleure réponse stratégique puis tactique.

Les joueurs et les neuropsychologues savent que la charge cognitive liée au traitement de ces informations sur un grand nombre d’objets, sur une longue période et dans un contexte politique complexe, est assez forte. Imaginez ce que cela peut représenter pour un opérateur militaire alors que des vies sont plus qu’un jeu…

Un projet de l’UdeS et de l’agent de recherche de la défense canadienne

Une équipe, composée d’informaticiens de l’Université de Sherbrooke et de chercheurs de Recherche et développement pour la défense Canada – Valcartier, a développé un système de support décisionnel basé sur leur expertise en intelligence artificielle afin de traiter ces informations et ainsi aider les opérateurs militaires en mission ou les Terrans de StarCraft à remporter la guerre contre les Zergs.

L’équipe réunit à l’UdeS Froduald Kabanza, professeur au Département d’informatique, Philipe Bellefeuille, professionnel de recherche, Francis Bisson et Julien Filion, étudiants en informatique, ainsi que les professeurs associés à l’UdeS Abdel Rezak Benaskeur et Hengameh Irandoust, scientifiques à Valcartier.

L’aspect militaire de ces travaux a été présenté à l’International Command and Control Research and Technology Symposium du 22 au 24 juin à Santa Monica, aux États-Unis, et la partie jeu vidéo le sera au congrès Plan, Activity and Intent Recognition de l’Association for the Advancement of Artificial Intelligence, du 11 au 12 juillet, à Atlanta.

«Les outils informatiques actuellement utilisés permettent essentiellement de visualiser un théâtre militaire. Notre projet vise à automatiser certaines opérations de traitement de l’information pour les présenter adéquatement aux décideurs», affirme le professeur Kabanza.

Défendre la frégate Halifax au large de la Somalie

Les chercheurs ont mis au point un système d’intelligence artificielle composé d’algorithmes et d’interfaces pour traiter l’information, la mémoriser et éventuellement la compléter en vue de suggérer soit un niveau de menace, soit les probabilités d’une série de stratégies.

Pour l’illustrer, le professeur Froduald Kabanza montre deux écrans du laboratoire de planification en intelligence artificielle (PLANIART). Sur celui de droite, une image radar dynamique avec au centre un cercle bleu sur lequel est inscrit HFX, l’identifiant d’une frégate canadienne de classe Halifax. Autour, différents symboles représentant d’autres navires et des avions. L’écran d’interface du support décisionnel de gauche est quant à lui divisé en trois zones colorées : rouge pour les objets hautement menaçants, jaune pour une menace potentielle, blanc lorsqu’il n’y a aucune menace.

«Le système permet d’évaluer pour chaque objet son allégeance amie, ennemie ou inconnue, sa capacité de porter ou non des armes et l’historique de son comportement, explique le professeur Kabanza. L’évaluation de la menace est ensuite traitée en fonction de son intention, de sa capacité à nuire (armement) et de l’opportunité de mettre à exécution une attaque, par exemple s’il n’existe pas d’obstacles dans l’environnement.»

Au fur et à mesure que les objets apparaissent à l’écran radar, qu’ils changent de cap ou de hauteur ou qu’ils accélèrent, leurs identifiants s’affichent dans l’une des trois zones du support décisionnel. Si un avion change brusquement de cap vers le Halifax et accélère sans autorisation, il passera probablement en code jaune. Le système peut alors déclencher automatiquement l’activation d’un radar de poursuite de missile vers cette cible. Puisque l’avion peut détecter une telle poursuite radar, il pourra informer le centre de contrôle de ses bonnes intentions ou au contraire poursuivre sa manœuvre, ce qui positionnera son symbole en zone rouge.

L’homme avant la machine

«Le logiciel renseigne également l’opérateur sur les justifications de son classement», précise l’informaticien. À tout moment, l’opérateur peut donc déclasser manuellement une menace s’il possède d’autres informations pertinentes, comme celles liées au contexte politique. Lorsqu’il y a plusieurs dizaines de bâtiments militaires d’une force multinationale, d’avions militaires ou civils ou de simples pêcheurs en mer, un tel support décisionnel pourrait alléger la charge cognitive de l’opérateur.

«Les chercheurs militaires reconnaissent que notre qualification des menaces est correcte, toutefois les experts militaires doivent encore l’évaluer avec leurs propres critères dans un contexte opérationnel», précise Froduald Kabanza. De leur côté, les informaticiens de Sherbrooke chercheront à développer l’analyse de menaces de groupe qui n’a pas encore été traitée ainsi qu’un planificateur de réponses appropriées.

Stimuler le recrutement d’étudiants par le jeu

Pourquoi avoir également développé une version ludique de ces recherches fondamentales en intelligence artificielle? La réponse est simple : alors que le volet militaire était lancé depuis plus d’un an, aucun étudiant ne souhaitait y travailler malgré un support financier attrayant. Dès que le volet sur les jeux a été proposé, les meilleurs étudiants d’informatique ont embarqué dans le projet.

«Je trouvais beaucoup plus de liberté à travailler sur un jeu que sur un projet militaire où des paramètres plus stricts peuvent être imposés», témoigne Francis Bisson, étudiant à la maîtrise en informatique. Dans le même laboratoire, l’étudiant démarre une partie StarCraft enregistrée et ouvre une fenêtre du support décisionnel où s’affichent les différentes stratégies probables (P) des Zergs : constitution d’unités Zerglings P(0.5), Hydralisks P(0,2), Mutalisks P(0.1)…

L’intelligence artificielle en expansion dans les jeux

Pour les producteurs de jeux, l’apport d’intelligence artificielle pourrait signifier des gains de productivité puisque le jeu pourrait s’adapter intelligemment au joueur sans avoir de multiples niveaux à programmer. D’ailleurs, le domaine attire de plus en plus de chercheurs qui, pour la première fois, s’affronteront en octobre à l’Université Stanford en Californie, à la compétition StarCraft avec support en intelligence artificielle de l’Artificial Intelligence and Interactive Digital Entertainment Conference.

À bien y penser, Froduald Kabanza relève tout de même une différence fondamentale entre le volet jeu et militaire. «Dans un jeu, le but n’est pas que l’intelligence artificielle l’emporte toujours sur ses concurrents humains, car alors ils ne voudraient plus participer. Ce qui n’est pas nécessairement le cas des stratégies militaires», conclut le chercheur.

Ce projet est financé par le conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et par CAE Professional Services, une entreprise mondialement connue dans les domaines des technologies de simulation et de modélisation et des solutions de formation intégrées destinées à l'industrie de l'aviation civile et aux forces armées.