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Portrait de David Gilles, professeur à la Faculté de droit

Retourner aux racines du droit pour éclairer les enjeux juridiques actuels

David Gilles, professeur à la Faculté de droit
David Gilles, professeur à la Faculté de droit
Photo : Michel Caron

La controverse entourant l'attribution du contrat des compteurs d'eau par la Ville de Montréal; le droit des autochtones à l’égard de la construction de grands barrages; la commercialisation de l’eau. Ces trois situations confrontent notre société à des enjeux de droit et d’éthique en apparence nouveaux. Pourtant, les questions contemporaines ne sont pas nécessairement inédites, selon David Gilles, professeur à la Faculté de droit : «On a souvent l’impression d’inventer de nouvelles choses, alors qu’en regardant le passé, on découvre que des modèles ont déjà permis de répondre à des questions similaires, sur lesquelles des générations antérieures ont apporté des réponses qu’il s’agit d’analyser.»

Originaire de France, le professeur Gilles a d’abord suivi une formation de juriste plutôt classique, touchant au droit international et privé ainsi qu’à des aspects théoriques. «Mon intérêt pour l’aspect historique est apparu sur le tard et répondait davantage à une passion personnelle qui existait bien avant», dit-il. De fil en aiguille, le juriste a voulu développer de nouvelles clés pour comprendre, et parfois améliorer le droit.

«J’étais moins intéressé à déterminer le "comment" d’une telle disposition, mais plutôt à trouver le "pourquoi" expliquant qu’une société avait choisi cette voie, dit-il. Bref, je souhaitais expliquer l’origine de certains choix juridiques à travers leur contexte et leur aspect historique.» Selon le juriste, cette approche offre souvent le recul nécessaire pour éclaircir des questions épineuses que l’approche théorique peine à élucider.

C’est ainsi que David Gilles a mené différentes recherches sur des questions historiques du droit, entre autres, à l’égard de l’esclavage des Amérindiens, du notaire comme médiateur ou du statut de la femme au Canada. «Évidemment, de nos jours, nous ne sommes plus dans un schéma où la femme est perçue comme une incapable juridique, fort heureusement (jusqu’aux années 1960, les Québécoises ne pouvaient contracter sans l’autorisation de leur époux), explique-t-il. Cependant, les questions d’égalité homme-femme demeurent toujours présentes. Entre le droit affirmé et le droit réel, il persiste toujours un certain décalage.»

À cet égard, on peut penser à l’écart salarial qui existe toujours entre femmes et hommes et aux questions que pose l’exercice de la liberté de religion et de l’égalité homme-femme, deux droits qui ont été confrontés lors des débats sur les accommodements raisonnables.

Pas si fous, ces Romains!

Ainsi, David Gilles considère que la connaissance des fondements du droit est un atout important dans le coffre à outil des juristes. Malgré les mises à jour et la réforme du Code civil, plusieurs éléments fondamentaux hérités d’une tradition séculaire sont encore en usage, notamment dans le droit des obligations

Au début des années 1990, la Cour suprême a ainsi dû développer la notion d’abus de droit à partir de schémas puisés dans trois sources historiques : le droit romain, le droit français du 17e siècle et la tradition juridique québécoise, avant que le législateur ne codifie cette solution. «Tout ne se règle pas sur des décisions du droit romain fort heureusement, mais il arrive qu’on trouve des arguments juridiques en puisant certains éléments chez des auteurs du passé, dit David Gilles. Des auteurs du 17e ou 18e siècle gardent une grande pertinence, et forment une sorte de culture juridique, patrimoine commun de tous les juristes.»

Le professeur prône notamment cette approche dans certains cours d’interprétation juridique, expliquant que les causes les plus difficiles à gagner requièrent de trouver des solutions originales reposant sur une recherche approfondie et un certain recul.

Environnement et gouvernance

Si le professeur Gilles s’intéresse à l’histoire du droit, il ne faudrait pas croire qu’il vit dans le passé. L’approche historique du droit amène David Gilles à plancher sur des enjeux très actuels. À la Faculté de droit, il est administrateur du Groupe de recherche sur les stratégies et les acteurs de la gouvernance environnementale (SAGE), dirigé par Catherine Choquette, une spécialiste du droit de l’eau.

«J’ai des intérêts pour les normes publiques, le droit privé et les questions de préjudice environnemental, dit-il. On note une certaine tendance vers une reprivatisation d’un certain nombre d’enjeux et d’acquis. Prenons l’exemple d’entrepreneurs qui réclament le droit de pomper l’eau publique pour en faire une valeur ajoutée commerciale. Il s’agit ici d’une question pour laquelle on a déjà fourni des réponses dans notre passé juridique. Ma démarche vise à dégager la trame historique, en gardant à l’esprit qu’il peut exister des divergences idéologiques entre les époques.»

David Gilles voit dans l’approche historique une parenté avec le droit comparé, qui confronte des situations juridiques entre deux systèmes de justice. «En regardant ce qui se fait dans un pays étranger, on peut chercher à résoudre les problèmes d’ici, dit le professeur. La même analyse est possible en regardant des données d’il y a 100 ou 150 ans.» Le chercheur considère d’ailleurs qu’il est possible de combiner les deux paramètres pour avoir une double comparaison : historique et géographique.

Le 17 mars, David Gilles prononcera une conférence à la Faculté de droit où il s’attachera ainsi à dégager les fondements de la gouvernance environnementale en matière de barrage et de gestion de l’eau (voir le complément d’information à la fin de ce texte).

Toute la vérité

Un autre enjeu très actuel qui interpelle David Gilles concerne les fictions juridiques. Il s’agit de ces mécanismes «où le législateur crée une réalité qui n’existe pas dans l’absolu». Les fictions juridiques touchent à des problématiques comme la filiation (l’adoption, la reconnaissance de la filiation de parents de même sexe en sont des exemples), les droits d’auteur ou le commerce électronique, où un simple clic de souris fait office de signature pour donner un consentement.

«On constate que le législateur recourt de plus en plus aux fictions juridiques, sans doute pour des raisons de facilité : il n’a pas besoin de démontrer que la réalité existe et il est plus simple de l’affirmer dans un texte, explique le juriste. Mais on constate que cela engendre toute une série d’effets pervers lorsque la fiction est trop forte et qu’on ne peut plus rétablir la réalité.»

Avec ses collègues, David Gilles cherche donc à proposer des modèles pour réduire ou encadrer le recours aux fictions juridiques. Il pourrait s’agir de les limiter à une certaine période, le temps que le législateur s’adapte à une nouvelle réalité en fournissant des solutions plus satisfaisantes que celles créées de toutes pièces par la fiction juridique.

«Après tout, conclut-il, le droit n’est pas seulement le rétablissement d’un déséquilibre, comme l’affirmaient les juristes romains à travers le célèbre adage suum cuique tribuere (rendre à chacun le sien), mais c’est aussi une quête de vérité.»


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