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Quand génie, politique et droit s'interrogent

En attendant WALL-E : la responsabilité légale, entre légitimité et acceptabilité

Photo : Michel Caron

De WALL-E à R2-D2 et BB-8 en passant par les réplicants ou Ultron, les robots intelligents et, surtout, capables de sentiments imprègnent la culture populaire. Selon l’œuvre, ils vous effraient ou vous rassurent… Dans tous les cas, ils soulèvent des enjeux bien réels pour les sociétés actuelles. Trois spécialistes, de trois domaines différents, ont abordé ensemble la question lors des Journées des sciences humaines 2018.

Ce texte est le dernier d’une série de trois. Elle présente des entrevues croisées avec François Michaud, Isabelle Lacroix et Charles-Étienne Daniel au sujet des défis, des craintes et des possibilités que soulève l'intelligence artificielle avec d’éventuels robots sensibles.

Mars 2018, Tempe, en Arizona : une passante est happée par une voiture autonome d’Uber. L’accident mortel soulève un enjeu légal d’importance. Si un robot intelligent blesse un être humain, qui est responsable de dédommager la victime ou sa famille? Est-ce le fabricant, le programmeur… ou le robot lui-même?

Voilà la question qu’aborde Charles-Étienne Daniel, chargé de cours à la Faculté de droit. Il explique que, règle générale, une réalité peut être soit sujet soit objet de droit.

Vous et moi sommes des sujets de droit : nous avons des droits, des responsabilités, des obligations… comme les entreprises, considérées en droit comme un type de personnes. Un objet de droit, comme un bien meuble, est passif, susceptible d’être déplacé. Il ne possède pas l’ensemble de nos droits.

Charles-Étienne Daniel
Charles-Étienne Daniel

Photo : fournie

Mais certaines réalités se situent dans une limite un peu plus floue. Les animaux, par exemple, se rapprochent des sujets de droit depuis l’adoption de la Loi visant l’amélioration de la situation juridique des animaux. « Selon cette Loi, les animaux sont plus que des roches ou des tables. Mais ils ne sont pas encore tout à fait égaux aux êtres humains, précise Charles-Étienne. La Loi leur accorde un statut hybride : elle reconnaît l’importance de leur sensibilité. »

Sur la question des robots, plusieurs positions s’affrontent. Certains juristes préconisent l’application de la responsabilité du fabricant ou du gardien d’un bien. Concepts déjà existant en droit, ces deux types de responsabilité assoiraient la charge du risque présenté par le robot pour la sécurité sur les épaules de son fabricant ou de son utilisateur. « Toutefois, certains juristes pensent que la responsabilité serait alors très difficile à prouver, nuance Charles-Étienne. Le concept de personnalité électronique, proposé par le Parlement européen, reconnaît un statut hybride aux robots sensibles, comme celui des animaux, mais avec plus de responsabilités. »

L’étudiant-chercheur note que ce statut s’accompagnerait de différentes mesures destinées au dédommagement de victimes potentielles. Elles prendraient la forme d’un fonds lié strictement au robot ou encore d’un régime plus élargi, comme celui de la SAAQ, avec ses indemnisations pour les accidents automobiles. Les gens déclenchant des poursuites auraient ainsi la possibilité d’obtenir des dommages et intérêts, dans le cas d’un jugement en leur faveur. « Cet concept contrerait en partie le problème de détermination de la responsabilité. Il concentrerait cette dernière dans un seul objet. Sur le strict plan légal, cela aurait un sens. »

Mais, dans la thèse qu’il rédige actuellement, l’étudiant au doctorat pousse la réflexion encore plus loin.

Est-ce qu’attribuer légalement un statut hybride à des robots sensibles serait souhaitable ou non? Est-ce que ce serait applicable, dans le contexte actuel?

Il soulève ainsi le cœur de la problématique. Le droit et la loi existent dans une communauté donnée. Ainsi, pour être efficaces, ils répondent à deux impératifs : l’efficacité et la légitimité.

L’efficacité du droit découle de l’application réelle des lois, tandis que sa légitimité repose sur le contrat que les institutions légales signent avec le peuple.

« Est-ce que le droit répond vraiment au problème social soulevé? Est-ce que la loi qu’il propose sera respectée? Si la réponse à ces deux questions est oui, le droit est efficace. Mais, pour qu’une loi soit respectée, elle doit d’abord être socialement acceptable. Sinon, impossible de l’appliquer démocratiquement. »

Pour Charles-Étienne Daniel, la meilleure manière de renforcer l’acceptabilité d’une loi, et donc son efficacité, est d’écouter les demandes de la population. Il en revient aux animaux : dans les années 1950, leur attribuer le statut qu’ils ont désormais aurait été impensable.

Mais les mentalités évoluent.

Cette évolution est perceptible dans la franchise Star Wars. Isabelle Lacroix cite en exemple la scène où Luke Skywalker et Obiwan Kenobi abandonnent leurs droïdes à l’extérieur d’un bar, parce qu’« on n’y sert pas ces types-là ». « Abandonner BB-8 à l’extérieur de quoi que ce soit serait impensable, maintenant », souligne-t-elle, en riant.

Pour François Michaud, le prix des robots de téléprésence, utilisés notamment en santé, est un autre indice d’une ouverture grandissante sur les plans social et commercial. « Ces robots sont désormais beaucoup moins coûteux qu’ils l’étaient. Et leurs fonctionnalités augmentent : leur capacité de perception s’améliore autant que leurs actions. L’autonomie, c’est peut-être la prochaine étape. »

Il souligne toutefois que beaucoup de travail reste à faire. En effet, un robot sensible implique une gestion informatique, mécanique et électrique. Mais il demande aussi un arrimage minutieux de ces composantes.

Adopter votre propre BB-8 attendra donc un peu. Pourquoi ne pas profiter de ce délai pour vous pencher sur ce dont la société a vraiment besoin… et envie?


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