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Point de vue d’expert

La dialectique… ou réapprendre les règles propres au débat

Benoît Castelnérac, professeur titulaire au Département de philosophie et d’éthique appliquée
Benoît Castelnérac, professeur titulaire au Département de philosophie et d’éthique appliquée
Photo : Michel Caron - UdeS

Coups bas, critiques sur les réseaux sociaux et positions intransigeantes : l’automne s’est révélé prolifique en dialogues de sourds à propos, entre autres, de la COVID-19 et de la présidentielle américaine. Un consensus est-il encore possible au sein des populations? Des solutions se trouvent peut-être du côté de la dialectique, cette pratique millénaire de recherche de la vérité.

Entretien avec Benoît Castelnérac, professeur titulaire au Département de philosophie et d’éthique appliquée. Spécialiste de la philosophie ancienne et de l’esthétique, le professeur Castelnérac travaille sur les origines de la philosophie : les premiers penseurs et leur contexte scientifique, social et politique. 

Quelle est l’origine de la dialectique?

Chez les Grecs, 600 ans avant Jésus-Christ, la dialectique consistait en une pratique d’argumentation utilisée pour éclaircir et se prononcer sur des problématiques. Elle consistait à mettre en opposition deux débatteurs sur une question dichotomique telle que : l’univers est-il fini ou infini? Pour le jeu de l’argumentation, le proposeur défendait une position que le questionneur s’efforçait de démolir. Puis, les rôles s’inversaient : le questionneur devenait le proposeur, et il défendait une position de son choix. C’était un processus à la fois adversatif et collaboratif, puisque le but ultime était la recherche de la vérité à travers la rivalité des arguments.

Cette pratique sociale importait pour distinguer publiquement les charlatans des savants. La science avait en outre besoin de processus de vérification pour un ensemble de questionnements qui allaient des fondements de la philosophie à l’enseignement de la poésie, en passant par les sciences et la politique. Pour ce faire, les Grecs de l’Antiquité s’appuyaient sur un ensemble de règles de conduite afin d’empêcher les sophismes et les tactiques déloyales.

Cette pratique est-elle toujours vivante de nos jours?

Oui, les gens en utilisent des formes très simples tous les jours. Il suffit d’imaginer une dispute de couple ou encore l’évaluation d’un élève à l’école. Dans le premier cas, chacun argumente en fonction de son point de vue et cherche les failles dans la position de son adversaire. Dans le second, l’enseignant pose une série de questions à l’élève afin de vérifier ses connaissances.

Les formes dialectiques plus sophistiquées sont, quant à elles, utilisées entre autres dans les sciences et en politique afin de distinguer le vrai du faux et de faire valoir le meilleur point de vue. Pour des hypothèses théoriques, les stratégies de vérification sont cruciales pour en déterminer la force et la validité.

Dans un univers démocratique comme le nôtre, la dialectique contribue à la vie en société. Nous ne pouvons pas nous en passer, pour une raison fondamentale : si nous voulons obtenir la meilleure explication ou la meilleure argumentation, elle doit être révisée et testée. Ensuite, elle est admise comme vraie jusqu’à preuve du contraire.

Aujourd’hui, en quoi consistent les problèmes liés aux débats et à la dialectique?

Tout d’abord, la science est de plus en plus sophistiquée et elle avance à une vitesse ahurissante. Les démonstrations sont non seulement toujours plus longues, mais toujours plus complexes à effectuer et à comprendre, ce qui contribue à la rendre plus obscure aux yeux des non-spécialistes. À moins d’être un expert, il devient impossible de tout réviser, ce qui contribue à créer un climat de méfiance à l’égard des vérités scientifiques.

Ensuite, nous assistons à un retour en force des idéologies et à une polarisation des positions. Les rôles de proposeur et de questionneur ne sont plus interchangeables, puisque tous sont convaincus d’avoir raison et refusent de tester leurs arguments et ceux de leurs semblables.

Des positions campées empêchent tout débat… C’est une perte de vie politique épouvantable!

Quelles sont les solutions possibles à ces problèmes?

Le journalisme d’enquête et la survie des journaux locaux sont des facteurs clés. Les médias ont une grande importance pour le maintien et la survie de la dialectique, puisqu’ils sont l’arène dans laquelle elle se déroule. Nous devons aussi nous débarrasser de nouveau des idéologies, et cela passe par l’éducation. La vie en société et le travail dialectique reposent sur la collaboration. Les débatteurs doivent être ennemis dans la discussion, mais collaborateurs dans la recherche de la réponse la plus juste.

Nous devons aussi arrêter de diaboliser la dialectique. Au Québec, les gens ont de la difficulté à se faire réfuter et à participer à la joute qu’est la dialectique. Nous avons une culture très polie, c’est correct, mais nous devons réussir à sortir davantage de notre zone de confort et arrêter de nous sentir visés personnellement afin de pouvoir faire progresser le débat.


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