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Un des textes gagnants du concours de vulgarisation scientifique 2019

Des oursons comme bouclier

Joanie Van de Walle en études sur le terrain, en Suède.
Joanie Van de Walle en études sur le terrain, en Suède.
Photo : fournie par Joanie Van de Walle

En Suède, une curieuse tendance s’observe chez les ours bruns: les femelles tardent de plus en plus à se séparer de leurs oursons. Le phénomène Tanguy serait-il en train de se propager au sein des populations animales sauvages? Une étude de l’Université de Sherbrooke publiée dans Nature Communications révèle que ce changement de comportement chez les ours serait plutôt lié à une réglementation de la chasse interdisant de tuer des membres de groupes familiaux.

Partout où elle est appliquée, cette réglementation vise à protéger les populations animales d’un potentiel déclin. Les chercheurs et les gestionnaires de la faune ignorent toutefois qu’elle puisse avoir des effets indirects sur le comportement des animaux. En raison de cette réglementation, être accompagnées d’oursons, peu importe leur âge, confère une protection substantielle pour les femelles adultes. En effet, les femelles solitaires ont près de 4 fois plus de chances d’être chassées comparativement aux femelles accompagnées d’oursons. En gardant leurs oursons plus longtemps, les femelles se protègent des chasseurs plus longtemps. C’est ce qui expliquerait le changement de comportement observé dans la population.

La chasse; source du changement comportemental

Les oursons naissent à l’hiver, en tanière. Certaines femelles se séparent de leurs oursons après le deuxième printemps, alors que d’autres ne se séparent qu’au printemps suivant. On parle alors de deux tactiques de reproduction, soient les tactiques 1,5 ans et 2,5 ans. La tactique 2,5 ans a émergé dans la population au milieu des années 1990 et c’est actuellement environ 30 % des portées qui restent avec leurs mères durant 2,5 ans. Curieusement, ce changement de comportement coïncide avec l’augmentation de la pression et des quotas de chasse qui pèsent sur les ours. Pas si curieux si l’on considère que seuls les ours solitaires peuvent être chassés à l’automne et que les femelles utilisant la tactique 2,5 ans sont moins souvent seules et vulnérables durant cette période. Ainsi, plus la pression de chasse est élevée, plus il devient avantageux pour les femelles de garder leurs oursons auprès d’elles.

Futés, ces ours?

Les femelles auraient-elle appris qu’en gardant leurs oursons auprès d’elles, elles éviteraient d’être tuées? Sans l’exclure, la chasse agirait plutôt comme un filtre démographique. Effectivement, les femelles conservent généralement la même tactique. Les auteurs suggèrent alors que l’augmentation des quotas et de la pression de chasse depuis 1993 aurait retiré de façon disproportionnée les femelles utilisant la tactique 1,5 ans, sélectionnant ainsi artificiellement en faveur des femelles utilisant la tactique 2,5 ans. C’est donc dire qu’en plus de modifier le comportement des ours, la chasse aurait changé la composition de la population.

Un changement de comportement qui inquiète

Puisque les femelles doivent sevrer leurs oursons avant d’avoir une nouvelle portée, le fait de garder les oursons plus longtemps réduit nécessairement le nombre de portées produites. C’est cette diminution du taux de reproduction, un élément déterminant pour la croissance de la population, qui inquiète. Toutefois, à pression de chasse élevée, la meilleure survie des femelles utilisant la tactique 2,5 ans compense pour le plus faible taux de reproduction, maintenant ainsi la croissance de la population. Ce changement de comportement débalancerait plutôt la structure de la population, avec une plus faible proportion de jeunes et une plus forte proportion de vieilles femelles.

L’Homme, par l’intensité et la diversité de son exploitation, altère les processus naturels. Cette étude montre que toute intervention humaine, même bien intentionnée, peut affecter le comportement des animaux et l’intégrité des populations. Si des oursons peuvent servir de bouclier, d’autres comportements tout aussi étonnants permettant de se parer des chasseurs pourraient émerger dans cette population, ou ailleurs.

À propos de Joanie Van De Walle

Joanie Van De Walle étudie au doctorat en biologie, cheminement écologie. Son doctorat porte sur les comportements maternels et l’effet de l’activité humaine sur les stratégies de reproduction de l’ours brun scandinave. Joanie s’estime privilégiée de faire partie d’un des rares projets de recherche à long terme sur un grand carnivore sauvage, ce qui lui permet de répondre à des questions auxquelles peu de chercheurs ont pu se pencher jusqu’à présent. Ses intérêts de recherche s’orientent autour des causes et des conséquences de la variation dans les stratégies de reproduction et les comportements maternels chez les grands mammifères. Par exemple, pourquoi certaines femelles se reproduisent-elles plus fréquemment que d’autres? Quelles sont les conséquences de ces différentes stratégies sur les individus (masse, survie et reproduction future) et la population (croissance et structure)? Joanie espère pouvoir continuer de tenter de répondre à ces questions et bien d’autres dans une carrière en recherche.


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