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Point de vue d'experts

La décroissance économique : véritable solution aux problèmes de société?

Dorothée Boccanfuso et Luc Savard, professeurs d'économique à l'École de gestion
Dorothée Boccanfuso et Luc Savard, professeurs d'économique à l'École de gestion
Photo : Michel Caron - UdeS

Récemment, le concept de décroissance a fait son apparition sur les réseaux sociaux et dans les discussions. En effet, beaucoup de gens semblent penser que la croissance sur laquelle notre économie se base est de plus en plus problématique. Voyons les choses en face : la planète se dirige hâtivement vers une crise écologique sans possibilité de retour. Mais est-ce que la décroissance s’impose alors comme la véritable solution?

Rencontre avec Dorothée Boccanfuso et Luc Savard, tous deux professeurs à l’École de gestion de l’UdeS, pour échanger sur le sujet. La professeure Boccanfuso a fait son doctorat avec une spécialisation en macroéconomie (croissance et fluctuation) et en économétrie, tandis que le Pr Savard a rédigé sa thèse sur la modélisation des relations entre les politiques macroéconomiques et leur impact sur la pauvreté. Tous deux s’intéressent aussi à la modélisation de l’impact social de réformes économiques dans les pays en développement, et plus récemment au Québec.

D’abord, qu’est-ce que la décroissance économique?

C’est lorsqu’on cesse de croître d’un point de vue économique : c’est une réduction de l’activité économique. Nous avons, d’ailleurs, à différents moments dans l’histoire, eu des périodes de décroissance. En économie, nous appelons ces périodes des récessions ou dépressions.

Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, le concept de décroissance n’est pas nouveau.

En effet, c’est au milieu du 19e siècle que certains se mettent à écrire sur le sujet, tels que Henry Thoreau (philosophe), John Ruskin (écrivain), Paul Lafargue (journaliste et économiste) et Tolstoï (écrivain). On en entend ensuite parler beaucoup dans les années 70 grâce à Georgescu-Roegen (mathématicien et économiste) et Serge Latouche (économiste).

Les entreprises et les économistes se font souvent reprocher de ne pas tenir compte des ressources limitées de notre environnement.

C’est souvent ce qui est mis de l’avant pour justifier le « besoin » de décroître, car si l’on n’arrête pas de produire, il n’y aura plus de ressources pour fonctionner. Toutefois, ces contraintes s’inscrivent directement dans notre définition de l’économie. Notre travail se fait toujours sous contraintes budgétaires, contraintes de ressources, etc.

Par ailleurs, le Prix Nobel décerné cette année à Nordhaus et Romer montre que le questionnement de la croissance (et non de la décroissance) et de l’environnement n’est pas nouveau et surtout qu’il est au cœur des développements de la théorie économique.

Qu’est-ce que ça représente comme changement au quotidien, la décroissance?

Ça augmente le chômage, la pauvreté, les inégalités; ça détériore le niveau de santé de la population, le niveau d’éducation. Ça peut même mener à de l’instabilité sociale, à des révoltes et des rébellions. D’ailleurs, plus de chômeurs signifie moins de revenus en tant qu’État, puisqu’on reçoit moins d’impôts. C’est là que ç’a un impact sur les dépenses publiques : on n’a pas le choix de réduire en éducation, en santé, en environnement. Il y a présentement une situation de décroissance au Venezuela et les gens fuient le pays. En moyenne, l’année dernière, ils ont perdu 11 kilos par personne. Les maladies ont également connu une explosion.

Les économistes sont d’accord pour dire que l’on surconsomme. Une des raisons pour lesquelles on surconsomme vient du fait que les coûts sociaux, comme ceux liés à la pollution, ne sont pas complètement intégrés au processus de production. Par conséquent, le prix de marché est plus faible que ce qu’il devrait être.

On associe souvent la croissance à l’augmentation des inégalités. C’est sûr que si rien n’est fait avec la richesse qui est générée, effectivement, on pourra assister à un accroissement des inégalités. Toutefois, si on a un gouvernement progressiste, c’est-à-dire qu’il redistribue cette richesse à travers la population, il est possible de réduire ces inégalités. Associer « croissance » à « inégalité » uniquement, c’est une relation fallacieuse qui est un peu simple.

De plus, même si la relation négative entre la croissance et les inégalités était vraie, la relation inverse n’est pas valide. En effet, lorsqu’on a de la décroissance, qui perd son emploi? Ce n’est ni le chirurgien cardiaque ni le patron d’entreprise : c’est celui qui n’a pas d’éducation, pas de qualification.

Chaque fois qu’on a une période de décroissance, ceux qui sont défavorisés sont les plus vulnérables et les pauvres. La décroissance ne vient pas régler le problème des inégalités, au contraire, elle vient l’accentuer.

Quel est votre avis sur la décroissance? Devrait-on aller dans cette direction?

L’objectif ne devrait pas être la décroissance. Ce que l’on devrait faire comme société, c’est l’internalisation des coûts liés à la pollution, par exemple. Les gens qui génèrent de la pollution devraient supporter le coût qu’ils incombent au reste de la société. Ce genre de mesures mènera à une réduction de la consommation parce que les coûts de production vont augmenter. Il faut donc avoir des comportements de gestion responsable, et c’est ce qui est enseigné ici, à l’École de gestion.

C’est aussi à nous d’avoir une consommation responsable, de faire de meilleurs choix, de consommer local, etc. C’est donc d’avoir une consommation et une production plus responsables plutôt que de parler de décroissance. Comment faire pour internaliser les coûts? On peut parler de taxes, réglementations, de subventions et bien d’autres moyens.

De plus, il faut bien comprendre que le gouvernement ne contrôle qu’une faible partie de la croissance. Une grande part de cette croissance découle de la croissance démographique, de l’innovation et des investissements, privés ou publics.

Qu’est-ce qui caractérise une période de récession et pourquoi n’est-ce pas souhaitable?

Outre le chômage, les inégalités sociales, la pauvreté et toutes les choses précédemment mentionnées, une récession peut être quelque chose de temporaire, mais peut avoir des conséquences à moyen ou long terme.

Par exemple, pourquoi a-t-on les clubs des petits déjeuners dans les écoles? C’est parce qu’il y a des enfants qui ne sont pas bien nourris à la maison. Si rien n’est fait, ça peut avoir un impact sur leur apprentissage et leur santé. Ça peut aller plus loin : avoir des difficultés à l’école, donc moins bien réussir, c’est ultimement moins de gens éduqués, moins de travailleurs qualifiés, et ainsi de suite. Ça peut même aller jusqu’à des problèmes de santé mentale et suivre la personne toute sa vie.

Plus la récession est longue, plus les conséquences sont graves. Aller vers la décroissance, ce serait aller vers une récession perpétuelle. Tous les effets négatifs de cette dernière se multiplieraient.

La protection de l’environnement risque d’être la première à subir des conséquences lorsqu’il y a une récession. Les gens, ce qu’ils veulent tout d’abord, c’est manger, se faire soigner et aller à l’école... les besoins de base. Dans les pays en développement où les besoins de base sont souvent à peine comblés, on s’occupe moins des problèmes environnementaux. On essaie, mais ce n’est pas facile de convaincre les gens de prendre l’argent et ne pas le mettre dans un dispensaire de santé quand les enfants sont malades et qu’on ne peut pas les soigner…

Tant qu’on veut garder une démocratie, ce sont les gens qui décident. Et ce que les gens veulent, c’est plus, pas moins.

Si le gouvernement a un rôle à jouer ici, c’est d’informer et former sa population afin de mettre en place des politiques pour faire payer le véritable coût social comme celui associé aux producteurs et aux consommateurs de produits qui génèrent de la pollution.


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