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Certains marchent pour le climat… d’autres courent un marathon

Le professeur Alain Royer a l’habitude de fréquenter les régions polaires dans le cadre de ses recherches.
Le professeur Alain Royer a l’habitude de fréquenter les régions polaires dans le cadre de ses recherches.
Photo : Fournie

La plus récente marche pour le climat fut historique en terme de mobilisation. Cet événement a certainement envoyé un message fort de la part de la population mondiale, mais qu’est-il possible de faire enfin d’entretenir ce mouvement?

Le professeur de l’Université de Sherbrooke, Alain Royer, a trouvé son propre moyen de sensibilisation aux changements climatiques : courir son tout premier marathon lors du Polar Bear Marathon à Churchill au Manitoba, le 23 novembre prochain. Celui qui enseigne en géomatique appliquée à l’environnement depuis plusieurs années est également un adepte de X-Trail et un mordu d’expéditions durant l’hiver arctique. L’idée de faire un marathon en hiver parmi les ours polaires le galvanise.

« Je souhaite sensibiliser le public sur ce qui se passe dans le Nord, où le réchauffement du climat est deux fois plus important que partout ailleurs sur la planète. Mes recherches me portent à étudier le rôle du réchauffement climatique dans l’évolution de la cryosphère et notamment sur la glace de mer arctique. Or, les images satellites nous révèlent, avec une très grande précision, le déclin alarmant de l’étendue de la glace de mer, menaçant la survie de l’emblématique ours polaire, véritable symbole de l’Arctique », explique le spécialiste en géophysique de l’environnement et de l’observation de la Terre par satellite.

Disparition de l’ours blanc

Photo : Fournie

Le professeur Royer prendra donc la route vers la baie d’Hudson où se déroule ce marathon en conditions parfois extrêmes alors que les températures peuvent descendre jusqu’à -10 degrés Celsius durant ces dates et que plusieurs ours polaires parcourent cette région. L’événement est avant tout un moyen d’appuyer l’organisme Athlètes en action des Premières Nations du nord du Canada.

Pour le professeur en géophysique, c’est également l’opportunité de sensibiliser les gens sur les changements climatiques qui affectent entre autres l’habitat de l’ours polaire, emblème de la course, mais également très présent dans la région. Selon lui, deux facteurs climatiques menacent directement sa survie par les changements qu’ils provoquent sur son habitat : la couverture de glace de mer et sa durée.

Même si la glace de mer fond en partie en été et se reforme chaque hiver, on constate que l’on a perdu 40% de sa surface minimale vers la fin septembre depuis le début des mesures satellites, il y a 40 ans. Cela correspond à un taux de fonte moyenne continue de 13 % par décennie. En 2019, la surface de glace de mer était au 3plus bas niveau jamais enregistré.

Alain Royer, professeur en géophysique de l’environnement et de l’observation de la Terre par satellite

Étendue de la glace de mer arctique en septembre 2019, au moment où elle est minimale, dérivée des observations satellites. La ligne magenta indique la limite moyenne sur la période 1981-2010. En médaillon, la tendance de sa superficie du mois de septembre en millions de kilomètres carrés de 1979 à 2019, entre le maximum de 7.5 M km2 en 1980 et la valeur de 4.3 M km2 observée en septembre 2019. Source National Snow and Ice Data Center, NASA.

Étendue de la glace de mer arctique en septembre 2019, au moment où elle est minimale, dérivée des observations satellites. La ligne magenta indique la limite moyenne sur la période 1981-2010. En médaillon, la tendance de sa superficie du mois de septembre en millions de kilomètres carrés de 1979 à 2019, entre le maximum de 7.5 M km2 en 1980 et la valeur de 4.3 M km2 observée en septembre 2019. Source National Snow and Ice Data Center, NASA.


Photo : Fournie

Le professeur Royer observe également que la débâcle printanière sur les côtes se produit plus tôt tandis que l’englacement automnal débute plus tard. Or, cet environnement constitue à la fois l’habitat des ours polaires et leur lieu de reproduction et de chasse. La disparition de la glace de mer et sa fragmentation réduisent l’accès de ces prédateurs à leurs proies favorites, les phoques, qui constituent 90 % de leur alimentation.

On estime que chaque femelle devrait manger un phoque adulte tous les dix à douze jours pour garder son équilibre, situé à 12 000 calories par jour (220 Big Macs). C’est 5 fois plus que la dépense calorique d’un homme, de l’ordre de 2 500 calories. Ce seuil serait de plus en plus difficile à atteindre.

« Cela va être de plus en plus difficile pour les ours de gérer à la fois des besoins énergétiques supérieurs, en raison de déplacements accrus, et des sources d’énergie plus faibles, liées au déclin de la disponibilité en proies. Le déficit qui en résulte aura aussi probablement des effets négatifs en cascade sur leurs succès reproductifs et donc sur leur survie », mentionne Alain Royer.

Une population en déclin, mais des données variables selon les régions

La population mondiale actuelle de l’ours blanc compte entre 22 000 et 31 000 individus, dont près de 60% au Canada selon la World Wildlife Fund (WWF). La population de la mer de Beaufort, une des plus touchées, a diminué de 25 % à 50 % au cours de la dernière décennie, et la perte semble associée à l’évolution des conditions de la banquise.

« À l’ouest de la baie d’Hudson dans la région de Churchill au Manitoba, la population est passée de 1 200 ours dans les années 1980 à un peu plus de 800, près de 40 ans plus tard. Sur la même période, on constate une diminution de l’englacement de l’ordre de trois semaines entre la formation et la fonte des glaces dans la baie d’Hudson. Ce sont trois semaines de plus pendant lesquelles les ours polaires ne mangent pas! Et cela a un impact encore plus significatif pour les femelles qui s’apprêtent à rentrer dans leur tanière pour mettre bas. »

Des politiques de protections timides

Partout en Arctique, le « Roi de la banquise », sans prédateur autre que l’homme, est maintenant protégé depuis longtemps, avec une chasse très contrôlée, principalement réservée aux Inuits.

« En mai 2008, pour la première fois, les États-Unis plaçaient un animal, l’ours blanc, sur la liste des espèces menacées en raison des changements climatiques. En juillet 2011, le Canada le place dans sa liste des espèces à risque, et il est classé vulnérable sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN, 2015). »

À Churchill, où aura lieu le Polar Bear Marathon, l’ours polaire génère également une ressource économique très importante par l’attraction touristique de milliers de visiteurs venus l’observer lors de sa migration vers les glaces qui se reforment à l’automne et vers la terre ferme au début de l’été, quand la banquise disparait.

Le Polar Bear Marathon attire normalement une vingtaine de coureurs.  Le professeur Alain Royer sera donc parmi ces vaillants marathoniens à partager la côte de la baie d’Hudson avec ce majestueux mammifère polaire.


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