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Quand génie, politique et droit s'interrogent

En attendant WALL-E : des limites qui effraient

Photo : Michel Caron

De WALL-E à R2-D2 et BB-8 en passant par les réplicants ou Ultron, les robots intelligents et, surtout, capables de sentiments imprègnent la culture populaire. Selon l’œuvre, ils vous effraient ou vous rassurent… Dans tous les cas, ils soulèvent des enjeux bien réels pour les sociétés actuelles. Trois spécialistes, de trois domaines différents, ont abordé ensemble la question lors des Journées des sciences humaines 2018.

Ce texte est le deuxième d’une série de trois. Elle présente des entrevues croisées avec François Michaud, Isabelle Lacroix et Charles-Étienne Daniel au sujet des défis, des craintes et des possibilités que soulève l'intelligence artificielle avec d’éventuels robots sensibles. Ne manquez pas la suite de cette série le mercredi 18 juillet.

Pour Isabelle Lacroix, professeure de politique, l’intérêt social des machines est fondamental. « Les acteurs politiques se préoccupent du bien commun. Le bien commun, c’est beaucoup de choses, mais c’est aussi, et entre autres, le développement technologique. Qu’est-ce que les robots sensibles nous donneraient? », s’interroge la dynamique chercheuse, qui étudie les représentations politiques dans les œuvres de science-fiction populaires.

Comment la société les intégrera-t-elle? Jusqu’où veut-elle aller? De quoi a-t-elle besoin exactement, et de quoi n’a-t-elle pas besoin? Ces questions-là, les acteurs politiques doivent se les poser et proposer des réponses. Ces réponses se traduiront ensuite dans les textes de droit et dans les balises règlementaires, qui s’imposeront à la très vaste majorité des entreprises, des individus, des chercheurs…

Tracer des limites : voilà le défi des décideurs si des robots sensibles apparaissaient. Et il serait complexe, puisqu’il implique des intervenants de domaines variés. « L’orientation générale du développement technologique découlerait idéalement d’une instance politique, mais dans une logique d’interdépendance. Le politique parlera bien de technologie seulement s’il est alimenté par les gens qui ont la compétence et l’expertise en la matière, soit les entreprises, les groupes de la société civile et les universités. C’est dangereux de laisser ceux qui possèdent la compétence technique dicter où ira la société. »

Selon Isabelle Lacroix, multiplier les intervenants avec des points de vue et des intérêts différents maximise les chances qu’une politique soit cohérente avec les valeurs sociales. C’est aussi une solution pour équilibrer les deux grandes réactions qu’entraînent des robots sensibles : l’espoir et la peur.

La professeure Isabelle Lacroix
La professeure Isabelle Lacroix

Photo : Michel Caron

Les œuvres adoptant la première perspective présentent les robots comme des sauveurs de l’humanité. « Pensez aux robots d’Asimov et à Data, dans Star Trek », illustre la professeure Lacroix. Dans la deuxième perspective, les robots menacent l’humanité, de deux façons potentielles.

Nous avons peur des robots eux-mêmes, de l’idée qu’ils supplanteraient ou éradiqueraient l’humanité. Mais nous avons aussi peur de ce que, nous, nous leur ferions.

Un exemple? Dans Blade Runner 2049, le personnage de Niander Wallace, joué par Jared Leto, traite ses robots comme de vulgaires objets. Son attitude évoque un esclavagisme sans conscience, teinté d’un (gros) brin de cruauté.

En général, les peurs qu’inspirent les robots sensibles résultent, elles aussi, de limites, mais qui, cette fois, s’effacent.

Aux yeux d'Isabelle Lacroix, la première limite à sauter est celle de la différence entre un humain et un robot. C’est aussi une de celles qui font vraiment peur.

Si un robot a toutes les réactions émotives d’un être humain, comment savoir face à qui – ou à quoi – nous sommes?

Perdre des repères identitaires est associé à l’idée d’infériorité. « Généralement, les robots calculent plus vite que les humains; ils sont plus forts; ils sont plus précis… Ils ont toutes les qualités! Si, en plus, ils atteignent notre niveau d’émotivité, l’être humain est déclassé », synthétise la chercheuse.

Ce déclassement se traduit, dans l’imaginaire collectif, par la crainte que les robots remplacent les humains dans bien des emplois.

On nous annonce cela, bientôt, pour l’enseignement : on n’aura plus besoin de professeurs, seulement de robots! Je suis sceptique, quand même. Cette crainte-là, elle existe depuis longtemps.

Ce scepticisme trouve écho chez le professeur Michaud. Il souligne que, historiquement, cette désuétude du travailleur a déjà été annoncée… sans jamais s’avérer. Il signale que, au-delà des émotions, la créativité est le propre des êtres humains. Par exemple, l’architecte dessine des lieux à la fois fonctionnels et esthétiques. Cet exercice lui demande une gymnastique intellectuelle que les robots sont loin de pouvoir fournir. Pour le moment, ils sont conçus et développés comme des appuis aux travailleurs plus que comme des remplaçants.

Isabelle Lacroix identifie une dernière limite dont la fluidité effraie parfois : le statut. En politique, cette idée se traduit souvent par celle de citoyenneté. La politicologue cite l’Arabie saoudite, premier pays à accorder le statut de citoyenne à une personne virtuelle. « C’est fascinant de se dire que cette personne-là n’existe pas, mais qu’elle est citoyenne. Les œuvres de science-fiction jouent d’ailleurs beaucoup sur cet aspect », commente-t-elle.

À partir de quel moment un être est-il reconnu, à part entière, comme un membre de la société, avec tous les droits et les devoirs que cela implique?

Cette question, Charles-Étienne Daniel, de la Faculté de droit, se la pose aussi… Mais il la décortique du point de vue légal : qui est responsable dans le cas d’un accident impliquant un robot sensible?


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