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Revenu minimum garanti : solution à la pauvreté?

Photo : Michel Caron

Seriez-vous capable de payer toute votre épicerie avec 210 $ par semaine? En mars 2018, une famille de quatre tente l’expérience, à la demande du Journal de Montréal. L’opinion publique s’enflamme, surtout quand le dragon François Lambert proteste contre la difficulté de cet objectif. Au cœur du débat trône une réalité sociale complexe : la pauvreté. Parmi les solutions possibles, le revenu minimum garanti a retenu l’attention du gouvernement.

Un Comité d’experts sur le revenu minimum a donc été formé. Il est présidé par Dorothée Boccanfuso, professeure à l’École de gestion, appuyée de Jean-Michel Cousineau (UdeM) et de Raquel Fonseca (UQAM).

Le Comité s’est penché sur deux questions principales.

Comment le Québec pourrait-il améliorer son régime de soutien au revenu? Le revenu minimum garanti est-il une option possible et durable pour la province?

Pour répondre à ces questions, le Comité a d’abord défini le revenu minimum garanti. La complexité de cet exercice explique probablement qu’aucun autre gouvernement ne s’y soit livré. « Quand on parle de revenu minimum garanti, on parle de tout plein de choses… Mais on parle rarement de la même chose! », s’exclame Dorothée Boccanfuso. Pourtant, sans définition, les recommandations risquaient de peu convenir à la réalité du Québec.

Selon l’analyse que le Comité a livrée dans son rapport d’étape, « revenu minimum garanti » désigne l’une de trois possibilités : l’allocation universelle, l’impôt négatif sur le revenu ou les régimes de base de soutien au revenu.

L’allocation universelle est un revenu inconditionnel, qui s’additionne aux autres sources financières. Elle est versée à toute personne habitant un État donné et elle n’est pas imposable.

L’impôt négatif sur le revenu est un crédit d’impôt remboursable versé en fonction du revenu gagné. En cas d’absence de revenu, cette mesure équivaut à une allocation universelle.

Les régimes de base de soutien du revenu regroupent tous les modes de soutien du revenu, comme les subventions ou les crédits d’impôt. Ces aides sont réduites en fonction des revenus et des actifs. Elles assurent un revenu minimal, sans atteindre une forme universelle.

Pour la plupart des gens, le revenu minimum garanti désigne l’allocation universelle. Or aucun gouvernement n’applique cette mesure dans sa version la plus pure. Aucun? Pourtant, l’Ontario a lancé un projet-pilote; la Finlande l’a testée auprès de ses contribuables… Non? Pas exactement. Le projet-pilote ontarien et l’initiative finlandaise sont limités dans le temps et l’espace ou soumis à certaines conditions. Le gouvernement finlandais, par exemple, a mis fin à son projet en avril 2018. Voilà qui éloigne ces initiatives de l’allocation universelle.

Mais pourquoi aucun État ne s’y est encore complètement investi?

Les défis de l’allocation universelle

L’établissement d’une allocation universelle entraîne son lot de défis, comme l’acceptabilité sociale, l’incitation au travail et la faisabilité.

Inconditionnalité et acceptabilité

L’allocation universelle repose sur l’inconditionnalité, c’est-à-dire que le revenu et l’âge n’influencent pas le montant reçu. Trouvez-vous acceptable que votre voisin, qui gagne autour de 400 000 $ annuellement, ait droit au même montant que vous? Les parents sont-ils responsables de gérer l’allocation reçue par leur bébé naissant? Jusqu’à quel âge? Et comment s’assurer que l’argent est bien investi pour le mieux-être de l’enfant?

Cette difficulté à concilier l’idée de l’allocation universelle et son application dépasse les limites du Québec. En 2016, plus de 75 % de Suisses ont rejeté un projet de revenu de base inconditionnel correspondant à l’allocation universelle.

Emploi et pauvreté : l’incitation au travail comme principe

Quand une personne est apte au travail, l’emploi constitue une des façons les plus efficaces et durables de sortir d’une situation de pauvreté. Toutefois, équilibrer mesure de soutien et incitation au travail est ardu.

La personne qui a la capacité de travailler, souligne Dorothée Boccanfuso, doit sentir que son effort est valorisé.

Pour le Comité d’experts, cette valorisation passe d’abord par l’effacement des freins au travail.

La professeure Dorothée Boccanfuso
La professeure Dorothée Boccanfuso
Photo : Michel Caron

« Il faut permettre aux gens de s’éduquer, de se former et, ainsi, de mieux s’intégrer socialement », explique l’économiste de formation, pour qui l’éducation reste un impératif. Une recommandation du Comité vise d’ailleurs la mise en place d’une mesure d’accès à la formation continue. Elle minimise ainsi la vulnérabilité des gens à qui la formation manque dans un marché du travail en pleine transition ou qui cherchent à se réorienter… De plus, le Comité a soulevé l’importance de considérer la flexibilité du travail.

En ce moment, les entreprises offrent des emplois à temps plein ou à temps partiel. Mais certaines personnes ont des impératifs familiaux, par exemple, qui leur exigent de travailler au plus 8 h par semaine, et encore seulement selon des horaires précis.

Si les entreprises variaient les horaires ou acceptaient le télétravail, l’accès à l’emploi s’en trouverait facilité. Dans son budget 2018-2019, le gouvernement a d’ailleurs ouvert la porte à plusieurs mesures agissant en ce sens.

Allocation universelle et… budget

L’allocation universelle pose tout le défi de sa faisabilité : le Comité d’experts a testé divers scénarios pour établir les coûts engendrés et les options de financement. L’objectif? Éviter d’« acheter » une mesure que le Québec se verrait contraint d’abandonner rapidement, faute de moyens. Le résultat est sans équivoque.

Actuellement, le Québec est incapable de soutenir financièrement l’allocation universelle dans sa forme pure. C’est comme si vous aviez la mise de fonds suffisante pour une maison qui vous plaît, mais pas l’argent pour payer les taxes ou l’électricité après deux ans d’occupation.

Pour le Comité, il s’agit donc de respecter l’efficience, c’est-à-dire une distribution et une utilisation optimales des ressources. Malgré toute sa bonne volonté, un État possède une capacité financière finie, qui limite les options possibles.

Les principaux scénarios testés sont détaillés dans le volume 3, sorti le 15 juin 2018.

Dans ce contexte, comment améliorer les mesures de soutien déjà offertes?

D’autres principes comme guides

Pour y parvenir, le Comité a tablé sur des valeurs chères à la population québécoise, à l’aide de l’équité et de l’accessibilité. Elles se jumellent à l’efficience et à l’incitation au travail et guident le Comité dans l’établissement de recommandations cohérentes.

L’équité désigne l’égalité des chances et des droits offerts aux personnes, selon leur propre situation : tout parcours, unique, demande une réponse particulière. L’équité remet en perspective l’inconditionnalité de l’allocation universelle… En effet, donner la même chose à chacun, c’est nier que certains pourraient avoir des besoins différents. Voilà toute la distinction entre équité et égalité.

L’accessibilité favorise des démarches simples. Si une personne est incapable de travailler, elle gagnera à accéder rapidement à une mesure d’aide, que son incapacité soit temporaire ou permanente. Et soyez honnête : qui, parmi vous, apprécie demander une aide gouvernementale, avec les formulaires qu’elle exige bien souvent? Face à un processus compliqué, des personnes admissibles à la mesure de soutien en place risquent de ne pas en bénéficier.

Le Comité a donc formulé des recommandations en accord avec la culture d’ici, tout autant qu’avec les options disponibles et la capacité financière de la province.

En voici deux exemples :

  • Établir un seuil minimal explicite pour les modes de soutien aux plus démunis sans contrainte à l’emploi. Ce seuil devrait combler entre 50 et 60 % de la mesure du panier de consommation, dont le Comité recommande aussi la clarification. Cette mesure de la pauvreté est utilisée au Québec. Elle repose sur le coût d’un panier de biens et services dans lequel se retrouvent notamment la nourriture, le logement, l’habillement et le transport.
  • Proposer un programme d’aide temporaire aux personnes ou aux ménages qui vivent des turbulences financières passagères, appelées « situations de transition », à la suite d’une perte d’emploi ou de la maladie d’un proche, par exemple. Ce programme proposerait, entre autres, des règles plus souples en matière de comptabilisation des biens afin d’éviter l’appauvrissement des gens touchés. En effet, attendre d’être admissible à l’aide de dernier recours signifie bien souvent puiser dans ses économies jusqu’à ce qu’elles aient fondu… Il est alors plus difficile de remonter la pente.

Par ailleurs, l’analyse effectuée par le comité a attiré l’attention d’autres gouvernements. Ceux de la Colombie-Britannique et de la région Corse ont sollicité l’appui de la professeure Boccanfuso pour des travaux de même nature.


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