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Lire l’avenir financier à l’aide des chiffres

Les mathématiques et l’informatique pour déceler des faillites personnelles

Les professeurs André Mayers, Ernest Monga et Shengrui Wang
Les professeurs André Mayers, Ernest Monga et Shengrui Wang

Photo : Michel Caron

Nombre de numérologues ont cherché à démontrer que les chiffres pouvaient prédire l’avenir. Ils ne sont pas les seuls : le mathématicien Ernest Monga ainsi que les informaticiens André Mayers et Shengrui Wang ont aussi tenté de répondre à la question… avec succès!

L’équipe, composée de ces trois professeurs de l’Université de Sherbrooke, du doctorant Tengke Xiong et d’une banque canadienne, a mis au point un modèle mathématique permettant de cibler de manière préventive certains consommateurs dont les comportements risqueraient de les mener à la faillite. Leur modèle va au-delà des approches conventionnelles qui ciblent la cote de crédit d’un consommateur. À l’aide de l’informatique, ils sont parvenus à creuser les données bancaires pour cibler des comportements permettant de détecter les faillites potentielles. Les résultats ont d’ailleurs été publiés ce mois-ci dans la revue Expert Systems with Applications.

Voir au-delà de la cote de crédit

Entre 1998 et 2008, la fréquence annuelle des faillites personnelles a quadruplé. Selon Industries Canada, 87 % des faillites sont attribuables aux cartes de crédit. La nécessité de développer de nouveaux outils pour les prévenir se faisait donc criante.

Cependant, l’intention de l’équipe, issue du groupe de recherche ProspectUS de la Faculté des sciences, ne se résumait pas à réinventer le calcul de la cote de crédit, principal outil des créanciers. «La cote de crédit constitue un bon indicateur pour déterminer la situation financière d’une personne à un moment précis. Or, le problème, c’est qu’on la met à jour périodiquement, par exemple aux six mois ou aux ans», explique Ernest Monga, professeur au Département de mathématiques. Par conséquent, la cote de crédit ne varie pas entre ces périodes, peu importe les événements qui pourraient survenir entre-temps, comme la perte d’un emploi ou l’atteinte du plafond d’une marge de crédit élevée.

En effet, étonnamment, les personnes ayant un bon dossier de crédit sont les plus vulnérables. Comme celles-ci disposent d’une marge de crédit élevée, les comportements risqués mettront plus de temps à se manifester. La détection à l’aide des cotes de crédit s’avère donc moins efficace pour cette clientèle, considérée initialement comme à faible risque. «Ces failles dans le système actuel nous ont amenés à proposer l’intégration d’une sorte de suivi en direct afin de prévoir les faillites à temps», résume le professeur Monga.

La face cachée des données

Tenter de prédire l’avenir, surtout quand il est essentiellement attribuable au comportement humain, peut sembler farfelu. Or, les chercheurs de l’UdeS ont démontré que le tout était parfaitement faisable grâce au forage de données (data mining). Comme son nom l’indique, cette branche des mathématiques consiste à creuser dans les données avec l’intention de découvrir les informations qui peuvent y être cachées.

Pour ce faire, on doit d’abord analyser la fréquence et le type de transactions de bons et de mauvais payeurs. Les mathématiciens décortiquent le comportement des utilisateurs de cartes de crédit à un intervalle de temps donné, qu’on nomme séquence. En examinant les opérations de pas moins de 4000 comptes appartenant à autant de «bons» payeurs qu’à des «mauvais», les chercheurs ont ainsi défini les séquences qui représentent les modèles types de chacune des deux catégories. Ensuite, selon le profil de ces séquences, on attribue une note chiffrée au consommateur étudié, qui exprime sa propension à la faillite.

Afin de confirmer celles-ci, les informaticiens de ProspectUS ont mis le modèle à l’essai à l’aide de simulations informatiques réalisées sur 11 000 autres comptes. Les résultats de cette validation s’avèrent plus que probants. L’équipe pouvait prédire quels utilisateurs se destinaient vers une situation financière indésirable seulement en jetant un coup d’œil aux transactions antérieures.

«En joignant les informations des cotes de crédit et l’analyse dégagée par notre modèle, on arrivait à des résultats beaucoup plus précis, fidèles à la réalité», affirme le professeur Monga. Le groupe de recherche a donc su démontrer la pertinence d’intégrer un tel outil aux pratiques des créanciers : cet outil permettrait d’identifier de manière préventive les clients à risque. Les créanciers pourraient donc intervenir auprès de ces derniers, par exemple en diminuant leur marge de crédit, de façon à éviter que la situation ne devienne irrécupérable.

Dans une institution près de chez vous?

Avant que l’outil ne soit utilisable par les compagnies de cartes de crédit, beaucoup de travail devra encore être accompli. La mise au point de plusieurs algorithmes s'avère notamment nécessaire afin de sécuriser l’entrée de ces données extrêmement confidentielles. L’instauration de technologies de traitement de l’information plus avancées sera aussi de mise, puisque l’outil doit gérer une entrée de données des plus imposantes.

Néanmoins, il y a fort à parier que, une fois ces obstacles franchis, les institutions bancaires se précipiteront sur cette technologie : «Essentiellement, le problème des faillites personnelles est très important pour les institutions financières. Si on peut détecter qu’une personne fera faillite le plus rapidement possible, on fera économiser beaucoup d’argent à la société», conclut le professeur Monga.


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