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Percées récentes de l'endocrinologue André Carpentier

Un regard inédit sur la graisse brune, ce tissu unique

Denis Blondin, stagiaire postdoctoral, est en train de préparer le patient. Le Pr André Carpentier (derrière la fenêtre) est en discussion avec les membres de son équipe de recherche.

Denis Blondin, stagiaire postdoctoral, est en train de préparer le patient. Le Pr André Carpentier (derrière la fenêtre) est en discussion avec les membres de son équipe de recherche.


Photo : Martin Blache | UdeS

Jusqu’à récemment, la graisse brune et ses effets sur le corps humain étaient méconnus. Nous avons longtemps cru que ce tissu adipeux brun était présent seulement chez le nouveau-né. Nous savons maintenant que la graisse brune est présente et fonctionnelle chez les mammifères hibernants, chez les nouveau-nés mais aussi chez  les humains adultes. Et il y a mieux : elle pourrait même être utile dans certaines stratégies de contrôle du poids. Portrait des connaissances inédites acquises tout récemment par l’équipe du Dr André Carpentier, un expert de l’imagerie moléculaire métabolique.

D'abord, qu'est-ce que la graisse brune?

La graisse brune se retrouve dans le cou, au-dessus des clavicules, près de la colonne vertébrale et du cœur. Ce tissu adipeux est brun parce qu'il contient beaucoup de mitochondries, « de petites fournaises qui fabriquent de l'énergie à partir du gras et du sucre ». Comment cela se produit-il? Les mitochondries sont dotées d’une protéine leur permettant de produire de la chaleur en brûlant directement des graisses. En effet, lorsque le corps est exposé au froid, la graisse brune consomme une quantité significative d’énergie déjà stockée dans ses cellules sous forme de gouttelettes. C’est ce qui rend ce tissu si unique et essentiel dans la lutte contre le froid.

La graisse brune est essentielle pour la lutte contre le froid. Elle se retrouve dans le cou, au-dessus des clavicules, près de la colonne vertébrale et du cœur. Ce tissu adipeux est brun parce qu'il contient beaucoup de mitochondries, de petites fournaises qui fabriquent de l'énergie à partir du gras et du sucre.


Le Dr André Carpentier, endocrinologue, professeur-chercheur à la FMSS et au CRCHUS est un expert de l’imagerie moléculaire métabolique multi organes. L'imagerie moléculaire permet de localiser et de visualiser in vivo les tissus et leur fonctionnement et les interactions métaboliques entre organes.

Les travaux du Pr André Carpentier sont orientés vers l’étude de la graisse brune. Pour y arriver, le patient a enfilé une combinaison qui reproduit une exposition au froid.
Les travaux du Pr André Carpentier sont orientés vers l’étude de la graisse brune. Pour y arriver, le patient a enfilé une combinaison qui reproduit une exposition au froid.
Photo : Martin Blache | UdeS

Explorer un nouveau tissu

André Carpentier et ses collaborateurs travaillent depuis quelques années sur la graisse brune. En 2012, ses travaux de recherche avaient fait le tour du monde : il s'est rendu compte qu'effectivement, lorsqu'on expose des individus sains au froid (18 degrés Celcius), on active les fournaises de leur graisse brune, et que ces graisses brunes ne font pas que capter plus de gras et de sucre : elles brûlent littéralement leur propre contenu en graisse.

Le professeur-chercheur soupçonnait que la graisse brune puisse jouer un rôle essentiel dans le processus d’ajustement de la température corporelle lorsqu’une personne est exposée à un froid intense. Mais cette démonstration n’avait jamais été faite jusqu’alors !

Prouver le rôle physiologique de la graisse brune chez l’être humain

Plus récemment, l’équipe d’André Carpentier est parvenue à bloquer artificiellement l’activation de la graisse brune, lorsque le corps est exposé au froid. Le corps humain cherche alors à se défendre autrement contre le froid : il frissonne!  Dans son étude Inhibition of Intracellular Triglyceride Lipolysis Suppresses Cold-Induced Brown Adipose Tissue Metabolism and Increases Shivering in Humans, il fait la démonstration que lorsqu’on inhibe la graisse brune, la réaction du corps est sans équivoque : il frissonne davantage. Ces résultats ont été publiés dans le Cell Metabolism, en janvier 2017.

Il s’agit de la première étude à prouver hors de tout doute le rôle physiologique de la graisse brune chez les êtres humains, rôle jusque-là indirectement démontré.

En fait, grâce à cette étude sur des modèles humains, André Carpentier et son équipe de recherche ont démontré deux choses. D’abord, que l’activation de la graisse brune entraîne automatiquement une utilisation de son propre contenu en graisse. Pour nous garder au chaud, le précieux tissu puise dans les réserves de graisse. Ensuite, la graisse brune a un réel impact sur la production de chaleur chez l’humain. En effet, le corps humain qui ne peut compter sur sa graisse brune pour lutter contre le froid, compense par une augmentation de sa production de chaleur par les muscles : une fois que la graisse brune est neutralisée, pour se réchauffer, les humains frissonnent.

Cell Metabolism est une revue scientifique à comité de lecture spécialisée dans la recherche sur la biologie métabolique dans le champ de la biologie cellulaire, de la biologie moléculaire, de la physiologie, et des études translationnelles.

La graisse brune fait-elle dépenser plus d’énergie ?

Toujours en 2012, André Carpentier lançait une mise en garde à l’effet qu’il était prématuré d’avancer que l’activation de la graisse brune serait une façon de maigrir ou un traitement complémentaire efficace de l'obésité et du diabète de type 2. À l’époque, il n’avait pas encore tenté d’activer de façon sécuritaire, chronique et efficace la graisse brune chez l’humain.

Le Dr André Carpentier, endocrinologue, professeur-chercheur à la FMSS et au CRCHUS est un expert de l’imagerie moléculaire métabolique multi organes.
Le Dr André Carpentier, endocrinologue, professeur-chercheur à la FMSS et au CRCHUS est un expert de l’imagerie moléculaire métabolique multi organes.
Photo : Robert Dumont | UdeS

Pourtant, les modèles animaux démontrent qu’une activité métabolique accrue de la graisse brune favorise une dégradation des gras alimentaires. Ce modèle n’avait jamais été testé sur l’être humain. Une deuxième étude réalisée par l’équipe de recherche d’André Carpentier et publiée en janvier 2017 a permis de replacer le rôle de la graisse brune dans une perspective physiopathologique chez l’humain.

Pour réaliser la recherche, des patients ont participé à une acclimatation en étant exposés au froid, à 10°C, à raison de deux heures par jour, 5 jours par semaine, pendant quatre semaines.

Les résultats de recherche ont démontré le métabolisme des gras alimentaires chez l’humain. Cependant, la graisse brune n’utilise environ que 1% du gras alimentaire, même lorsqu’elle est activée par le froid. Décevant ? Pas du tout ! Bien qu’il soit peu probable que l’activation de la graisse brune puisse être utilisée pour abaisser les niveaux de gras alimentaires circulant après les repas, une utilisation accrue des gras alimentaires et de manière soutenue pourrait contribuer à une stratégie intégrée de prévention de l’obésité.

Les résultats de l’étude Dietary Fatty Acid Metabolism of Brown Adipose Tissue in Cold-Acclimated Men ont été publiés dans Nature Communications.

Nature Communications est une revue scientifique bimensuelle qui publie des articles de recherche sous forme de communications dans tous les champs scientifiques.

Il faut maintenant développer des stratégies efficaces, sécuritaires et réalistes permettant l’activation chronique de la graisse brune afin d’améliorer la balance énergétique, explique André Carpentier. Un débalancement chronique de seulement 50 à 100 kcal par jour maintenu pendant des années explique en effet l’essentiel de l’épidémie d’obésité dans le monde. Nous croyons que l’activation chronique sécuritaire de la graisse brune peut faire partie des stratégies de prévention de l’obésité et de maintien de la perte de poids à long terme chez les sujets obèses. De plus, l’activation de la graisse brune pourrait trouver des applications utiles pour l’adaptation du travail dans des conditions de froid extrême.


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