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Le système électoral proportionnel est-il plus démocratique?

Eugénie Dostie-Goulet
Eugénie Dostie-Goulet
Photo : Michel Caron

À peine la carte électorale redistribuée, les médias s’amusent à la déconstruire pour mieux montrer la distribution des sièges selon un mode de scrutin proportionnel. «Il faut prendre ces simulations pour ce qu’elles sont : des simulations. Si nous avions un système proportionnel, les gens ne voteraient pas de la même manière. Selon les sondages, 3 à 5 % de la population fait un vote stratégique», nuance Eugénie Dostie-Goulet, chargée de cours à l’École de politique appliquée.

Par contre, les résultats du vote en pourcentage braquent les projecteurs sur les distorsions de notre mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour, même si elles sont «loin d’être les pires» de l’histoire. Avec 42 % des voix, le Parti libéral a pris la tête d’un gouvernement majoritaire au Québec. Avec seulement 2 % de voix d’écart par rapport au Parti québécois, la CAQ récolte 8 sièges de moins que lui à l’Assemblée nationale.

Ce système hérité de la Grande-Bretagne encourage normalement le bipartisme. Avec la montée de la CAQ comme troisième parti d’importance, est-ce à dire que ce mode de scrutin ne correspond plus au paysage politique québécois? «Au contraire, dit Eugénie Dostie-Goulet. Ça nous montre que dans un système majoritaire uninominal, nous sommes capables d’avoir trois partis. D’ailleurs, les résultats ne sont pas très éloignés de ceux qu’on aurait obtenus dans un système proportionnel mixte compensatoire.»

Le système uninominal à un tour présente toutefois un avantage de taille : la stabilité du gouvernement. Un gouvernement majoritaire possède aussi la latitude pour voter de grandes réformes. À l’opposé, le système proportionnel crée le plus souvent des gouvernements minoritaires ou de coalition, qui naviguent constamment dans le compromis. «Actuellement, les partis ont une mentalité partisane et non pas une mentalité de coalition», fait remarquer la chargée de cours.

Chaque vote ne compte pas, sauf que…

Selon Eugénie Dostie-Goulet, il est évident qu’avec le mode de scrutin actuel, on ne peut pas dire que chaque vote compte, sauf que… «Chaque parti reçoit maintenant du financement au prorata des pourcentages de votes, dit-elle. En plus, on ne sait jamais… tout peut se jouer dans notre circonscription. Dans Sainte-Marie-Saint-Jacques, Manon Massé a remporté la victoire par seulement 91 voix : dans un cas comme celui-là, chaque vote compte!»

L’argument de poids pour un système proportionnel est donc de réduire le cynisme populaire par une meilleure représentativité à l’Assemblée nationale. Paradoxalement, dans quelques provinces canadiennes, la population a rejeté l’idée lors de référendums. «Ce changement représente l’incertitude et l’insécurité pour plusieurs, car il faudrait réapprendre le fonctionnement d’un nouveau système», explique Eugénie Dostie-Goulet.

Comme aucun système n’est parfait, un tel changement implique une réflexion profonde sur nos priorités. Réduire le cynisme chez les électeurs ou préserver une forme de stabilité politique? «Le système électoral proportionnel éliminerait beaucoup de distorsions, mais ce n'est pas tout le monde qui est convaincu que ses avantages dépassent ses inconvénients», dit la chargée de cours.

Même si l’élection d’un gouvernement libéral majoritaire exclut la possibilité d’une réforme du mode de scrutin au Québec à court terme, le dossier est loin d’être mort : plusieurs groupes militent toujours pour cette cause, dont le Mouvement démocratie nouvelle. «Le jour où une province du Canada acceptera le mode de scrutin proportionnel, les autres en observeront le fonctionnement et oseront peut-être l’adopter à leur tour», dit Eugénie Dostie-Goulet.

Le professeur Maxime St-Hilaire
Le professeur Maxime St-Hilaire
Photo : Michel Caron

L’urgence de changer

Première urgence : voilà comment le rapport du Comité directeur sur la réforme des institutions démocratiques qualifie la réforme du système électoral en 2003. «Cette constatation est le résultat d’une vaste consultation populaire. Les gens sont frustrés du décalage entre leur vote et la représentation à l’Assemblée nationale», soutient Maxime St-Hilaire, professeur spécialiste en droit parlementaire.

Depuis, la Cour supérieure et la Cour d’appel ont refusé d’imposer un changement dans le système électoral à la demande de l’Association pour la revendication des droits démocratiques, qui invoquait le droit à un vote égalitaire. «Les tribunaux ne peuvent imposer un système. Le seul moyen de changer serait de modifier la loi électorale.»

Pour le professeur St-Hilaire, un système proportionnel aurait l’avantage d’améliorer la qualité de notre démocratie. «Une pluralité de partis est signe de meilleures pratiques parlementaires», indique-t-il.

D’ailleurs, Maxime St-Hilaire n’associe pas nécessairement coalition et instabilité. «Si la coalition fonctionne bien et qu’elle est pratiquée avec sérieux, le gouvernement peut rester stable et réaliser de grandes choses. L’idéal est les coalitions préélectorales parce qu’elles permettent à l’électeur de mieux connaître la portée de son vote.»

Dans le cas où une réforme aurait lieu, le Directeur général des élections a commandé une étude sur un système proportionnel mixte compensatoire. Comment ça fonctionne? «L’électeur n’aurait pas nécessairement à voter deux fois, mais une partie des sièges serait répartie comme c’est le cas actuellement (sur une base majoritaire) et des sièges supplémentaires seraient répartis en fonction du nombre de votes obtenus par les partis, explique le professeur St-Hilaire. Il existe néanmoins un large spectre de possibilités entre un système majoritaire pur et un système proportionnel pur.»


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