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Percée mondiale en supraconductivité

Des physiciens de l’UdeS mettent fin à 20 ans de débats

Trois physiciens sherbrookois dont nous n'avons pas fini d'entendre parler : Gaël Grissonnanche, Nicolas Doiron-Leyraud et Louis Taillefer.
Trois physiciens sherbrookois dont nous n'avons pas fini d'entendre parler : Gaël Grissonnanche, Nicolas Doiron-Leyraud et Louis Taillefer.

Photo : Michel Caron

Une équipe internationale réalise la toute première mesure directe du champ magnétique critique des cuprates, les matériaux les plus prometteurs en matière de supraconductivité. Dirigée par trois physiciens de l’UdeS, cette percée résout une énigme qui a occupé les chercheurs pendant 20  ans et ouvre la porte à de grandes avancées.

«C’est étrange comme les idées nous viennent parfois», raconte Gaël Grissonnanche, doctorant en physique et premier auteur de l’étude qui paraît aujourd’hui dans la prestigieuse revue Nature Communications. «Un jour à Sherbrooke, lors d’une réunion de groupe, nous discutions de mesures de conductivité thermique réalisées ici, dans notre laboratoire, par un autre étudiant, sur une tout autre famille de matériaux. Puis cette idée séduisante et excitante est venue : et si nous mesurions la conductivité thermique dans un cuprate, en champ magnétique intense?»

Une destination de rêve : la supraconductivité à température ambiante

Lorsqu’ils sont soumis à de très basses températures – des températures à peine plus élevées que le zéro absolu (-273 °C) – certains matériaux voient leurs propriétés électriques et magnétiques changer de façon radicale. Subitement, les nombreux électrons qui composent ces matériaux forment spontanément des paires, dans une même onde quantique, qui s’étend sur de très grandes distances. Les matériaux deviennent alors supraconducteurs : ils n’opposent plus aucune résistance au passage du courant électrique. On a alors une propriété presque magique : l’électricité est transmise parfaitement, sans aucune perte d’énergie.

Sauf que pour l’instant, il faut refroidir le matériau à des températures extrêmement basses pour que s’exprime l’état supraconducteur. «Si cet état pouvait persister à température ambiante, notre monde technologique serait profondément transformé», maintient Louis Taillefer, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en matériaux quantiques et investigateur sénior de l’étude.

La lévitation magnétique est de loin la manifestation la plus spectaculaire du phénomène de supraconductivité, avec la possibilité de concevoir des trains propulsés à de très grandes vitesses. Le stockage et le transport de l’énergie seraient aussi bouleversés : aucune perte d’énergie ne serait encourue par le recours aux supraconducteurs, le courant circulant sans qu'il soit nécessaire de payer pour bénéficier de l’électricité. «Ce grand rêve sera réalisable si les scientifiques arrivent à comprendre comment augmenter la valeur maximale de la température critique d’un facteur 2, ou plus», dit le chercheur.

Les cuprates.
Les cuprates.

Photo : Département de physique

L’équipe vient justement d’identifier l’un des principaux mécanismes qui limitent la température critique des cuprates, ouvrant ainsi une nouvelle piste pour savoir comment l’augmenter.

Les cuprates
Les matériaux supraconducteurs les plus prometteurs sont les oxydes de cuivre, qu’on appelle «cuprates». Ce sont, à l’heure actuelle, les matériaux qui expriment l’état de supraconductivité à la plus «haute» température connue, soit -150 °C. C’est à mi-chemin entre le zéro absolu et la température ambiante.

Un million de fois le champ magnétique de la Terre

En plus de la température critique, une deuxième propriété fondamentale du matériau supraconducteur est son champ magnétique critique. Quelle est sa valeur dans les cuprates? «Étonnamment, cette question était toujours sans réponse claire, et le sujet de nombreux débats et controverses dans le domaine», explique Nicolas Doiron-Leyraud, professeur au Département de physique et l’un des auteurs de la recherche.

Pour mesurer le champ critique des cuprates, l’équipe a entrepris d’étudier leur capacité à conduire la chaleur. La conduction de la chaleur dans un matériau dépend, de façon très sensible, de la façon dont ses électrons se comportent. «C’est une sonde particulièrement efficace pour l’étude des supraconducteurs», poursuit Nicolas Doiron-Leyraud.

La toute première mesure directe de ce champ critique dans les cuprates, donc, a été rendue possible grâce à une approche inédite développée par le groupe de chercheurs en physique des matériaux quantiques de l’UdeS. Gaël Grissonnanche, qui effectue son doctorat sous la supervision de Louis Taillefer, en a fait son projet de recherche.

«Nous savions que nous ne pouvions pas tout faire à Sherbrooke», relate Gaël Grissonnanche. «La clé de notre découverte, ajoute Nicolas Doiron-Leyraud, fut de développer à Sherbrooke un appareillage pour faire de telles mesures dans des conditions de champs magnétiques très intenses.» L’équipe s’est ensuite rendue dans les laboratoires spécialisés à Tallahassee, en Floride, et à Grenoble, en France. Dans ces laboratoires, des champs magnétiques pouvant atteindre un million de fois le champ magnétique terrestre sont produits.

«Une fois là-bas, nous avons pris conscience que c’était la première fois que quelqu’un tentait cette expérience, dit Gaël Grissonnanche. Premier jour, premières mesures : ça marchait!»

Une signature limpide

«La signature du champ critique est devenue immédiatement apparente dans nos données, se manifestant par une anomalie claire et soudaine», explique Nicolas Doiron-Leyraud. Armé de cette nouvelle mesure du champ critique, le groupe sherbrookois a fait sa découverte majeure. «Nous avons vu une chute soudaine du champ critique en-dessous d’une certaine concentration en électrons», précise-t-il.

Louis Taillefer, qui dirige aussi le programme des matériaux quantiques à l’Institut canadien de recherches avancées, met cette découverte en perspective. «Depuis 20 ans, les scientifiques se demandent quel est le mécanisme responsable de la chute de la température critique, lorsque la concentration des électrons du matériau est réduite en dessous d’une certaine valeur, dit-il. Jusqu’ici, il y avait deux grands scénarios possibles.»

Le premier scénario attribue la chute au fait que le métal – le cuprate – est graduellement en train de devenir un isolant. Or, dans les isolants, les électrons ne bougent plus – et ne peuvent donc plus former de paires. Le deuxième scénario attribue la chute de température critique à l’apparition soudaine, dans le matériau, d’une phase électronique distincte, qui entre en compétition avec la supraconductivité, et l’affaiblit.

«Depuis 1995, l’opinion de la communauté scientifique penche fortement pour le premier scénario. Nos travaux démontrent maintenant sans équivoque que c’est en fait le deuxième scénario qui s’applique. Cela ouvre une nouvelle piste pour augmenter la température critique à laquelle la supraconductivité est possible : il faut supprimer la phase en compétition!» s’exclame Louis Taillefer.

Un brillant avenir

La percée est fortement remarquée par les acteurs du domaine, et les trois chercheurs sherbrookois sont déjà invités à présenter leurs résultats dans plusieurs grandes conférences internationales. L’article publié aujourd’hui marque un point tournant dans la compréhension des énigmatiques cuprates.

Quant à Gaël Grissonnanche, l’expérience a redéfini totalement le cours de son doctorat. «Elle a ouvert un tout nouvel horizon de mesures en champ magnétique, c’est passionnant! Je poursuis désormais cette voie, avec l’équipe, dit-il. Nos mesures les plus récentes sont remplies de nouvelles révélations, dont nous vous parlerons très prochainement!»


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