Sommets Vol. XIX No 1 - Hiver 2006


 

L'éthique grandeur nature

Quand il a quitté la politique active, en décembre 1987, Pierre Marc Johnson s'est découvert une nouvelle passion : l'environnement. Depuis, il parcourt la planète pour défendre cette cause avec conviction, mais aussi avec diplomatie…
 

Photo de Pierre Marc Johnson
Pierre Marc Johnson
Avocat-conseil chez Heenan Blaikie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photo de Pierre Marc Johnson

 

  Quelle serait la décision qui aurait le plus d'impact sur l'environnement à l'échelle internationale? «Une reconnaissance claire de l'équité entre les pays en développement et les pays développés», lance-t-il sans hésitation. Selon Pierre Marc Johnson, les pays en développement considèrent que les grandes puissances se sont développées pendant 200 ans sans tenir compte de l'environnement. Pourquoi les pays qui amorcent leur développement devraient-ils s'en préoccuper maintenant? «Un simple parce que nous vous le demandons ne suffirait pas, ironise-t-il. Désormais, pour créer un réel partenariat, il faut accepter de transférer de l'argent et des nouvelles technologies dans les pays en développement.»

L'éthique de l'environnement va bien au-delà du respect de la nature. Les enjeux environnementaux de la planète sont étroitement liés aux enjeux sociaux, économiques et politiques. Dans cet univers, Pierre Marc Johnson veut mettre à contribution ce qu'il a appris de la vie et de la politique afin de faire avancer une cause qui lui tient à cœur. «Je suis habitué de transiger avec des membres ou des chefs de gouvernement et des gens qui s'intéressent à des questions d'État. En politique, on apprend vite à connaître l'univers du possible.»

Un univers à découvrir

L'intérêt de Pierre Marc Johnson pour les questions internationales remonte à ses études au collège Brébeuf, où il a obtenu un baccalauréat en sciences politiques. Son mémoire portait sur l'implication américaine au Vietnam. Pendant cette période, il découvre aussi les institutions européennes à l'occasion d'un séjour d'études en Autriche et en Tchécoslovaquie, où se préparait le printemps de Prague. Puis, pendant l'Expo 67, il travaille pour le service du protocole du gouvernement du Québec qui coordonnait les visites d'une multitude de chefs d'État, dont celle du général de Gaulle.

Ses études de droit à l'Université de Montréal sont ensuite marquées par le militantisme étudiant, mais surtout par la fondation d'Oxfam-Québec. «C'était facile de discuter de développement international autour d'un café en fumant des Gitanes, comme nous le faisions à l'époque, mais…», laisse-t-il en suspension pour chercher d'autres façons de sauver le monde. «Ma participation à la fondation d'Oxfam-Québec a été centrale pour moi. C'était un effort de solidarité collective, pour amener les gens à faire des dons et pour s'assurer que l'argent serait dépensé intelligemment.»

Pendant ses études de médecine à l'Université de Sherbrooke, il est plutôt studieux même s'il trouve le temps de donner un cours sur les institutions politiques au Cégep de Sherbrooke et de s'engager dans les instances locales et régionales du Parti québécois. Il fait ensuite son internat à l'hôpital Saint-Luc, puis il exerce la médecine d'urgence à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, même après son élection comme député d'Anjou en novembre 1976. Lorsqu'il devient ministre, en juillet 1977, il quitte l'hôpital pour se consacrer entièrement à la vie politique. De 1977 à 1985, il occupe successivement et parfois simultanément différents postes au conseil des ministres, dont ceux de ministre du Travail et de la Main-d'œuvre, de ministre des Institutions financières, de ministre des Affaires sociales, de ministre de la Justice. En 1985, il succède à René Lévesque comme premier ministre, puis devient chef de l'opposition jusqu'en décembre 1987, moment où il quitte la politique active. Quelques semaines plus tard, il amorce une nouvelle vie.

«Je voulais me retrouver loin, découvrir des choses inattendues et dépaysantes, explique-t-il. Je me suis donc envolé pour la Birmanie, en passant par Singapour et la Thaïlande.» À l'aller et au retour, il passe de longues heures à lire le rapport Brundtland, du nom de la première ministre de la Norvège et présidente de la Commission des Nations Unies sur l'environnement et le développement, Gro Harlem Brundtland, qui a aussi inspiré le mouvement des écoles vertes Brundtland, où la priorité des jeunes est l'environnement. Ce rapport, produit en 1987, est à la source du concept de développement durable tel qu'on l'entend aujourd'hui encore. Il soutient que les problèmes environnementaux les plus graves à l'échelle de la planète sont essentiellement dus à la grande pauvreté du sud et aux modes de consommation et de production non durables du nord. Il demande une stratégie qui permette de conjuguer développement et environnement, soit un développement durable qui répond aux besoins du présent sans compromettre l'avenir.

Une planète à protéger

«En lisant le rapport Brundtland, je me suis découvert une passion pour les questions environnementales, un domaine que je ne connaissais pas avant et qui m'est apparu comme un filon extrêmement riche de réflexion sur les plans social et politique.» À son retour de voyage, il commence à enseigner à l'Université York de Toronto, puis à McGill, où il obtient une charge d'enseignement et de recherche au Centre de médecine, d'éthique et de droit. Dans ce milieu stimulant, il poursuit sa réflexion sur l'environnement, si bien qu'il est invité à diriger une délégation canadienne qui se rend à Bruxelles pour un colloque sur l'éthique de l'environnement où seront formulées des recommandations pour le prochain Sommet du G7 à Paris. «J'y ai fait une présentation sur le caractère irréversible des dommages à l'environnement et sur les responsabilités des pouvoirs publics. Ce fut mon premier article universitaire! Il a été publié en Europe, pas ici, et je n'en ai même pas de copie.»

Au retour, il produit un rapport pour le ministère des Affaires étrangères et transmet au bureau du premier ministre un sommaire dans lequel il souligne l'importance de doter la communauté internationale d'instruments pour évaluer l'efficacité des politiques environnementales et être en mesure de les modifier rapidement pour contrer l'irréversibilité des dommages causés à l'environnement. Lors du Sommet de Paris, le premier ministre Mulroney profite d'une discussion avec ses homologues allemand et américain pour lancer l'idée de confier à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) le mandat d'élaborer des indicateurs de développement durable. Cette recommandation, qui fait partie du communiqué final du Sommet, a grandement orienté le parcours professionnel de Pierre Marc Johnson. Il se retrouve à alimenter un comité de l'OCDE sur cette approche, à prononcer des conférences un peu partout dans le monde et à siéger à la Table ronde nationale sur l'économie et l'environnement, au nom de laquelle il participera à plusieurs activités préparatoires au Sommet de Rio.

Son engagement et ses capacités à faire avancer les dossiers ne passent pas inaperçus. Le Secrétaire général associé des Nations Unies et responsable du Sommet de Rio, Maurice Strong, l'invite à devenir l'un de ses conseillers spéciaux. «Notre rôle était de faire monter le niveau de priorité des dossiers liés au Sommet en rencontrant les représentants des ministères des Affaires extérieures des différents pays pour les sensibiliser, pour leur demander d'intervenir sur certains aspects et pour s'assurer de leur présence au Sommet et de celle de leur président.» De l'automne 1990 à la tenue du Sommet de Rio en juillet 1992, il effectue des missions en Europe, en Amérique latine, en Asie centrale, en Russie, en Afrique, au Japon et aux États-Unis. À deux reprises il fait le tour du monde en moins de 10 jours!

Un monde à rassembler

Les principaux objectifs du Sommet de Rio consistaient à imaginer un développement qui respecterait l'environnement et qui encouragerait un partenariat mondial entre les pays en développement et les pays industrialisés, en fonction des besoins mutuels et des intérêts communs. Pour Pierre Marc Johnson, ce sommet était comme une grande foire aux idées, une prise de conscience planétaire. «Rio a donné un cadre au débat mondial. Son importance réside dans le fait qu'une centaine de chefs d'État s'y sont réunis pour parler d'environnement et de développement et qu'une multitude de textes ont été produits sur les préoccupations soulevées au Sommet.»

En plus de jeter les bases de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et de la Convention sur la diversité biologique, le Sommet de Rio a donné le coup d'envoi à l'élaboration de la Convention mondiale sur la désertification, un problème qui s'étend sur plusieurs continents, mais qui est particulièrement criant en Afrique. «La désertification n'est pas seulement l'expansion des déserts actuels. Elle provient de la surexploitation et de l'usage non approprié des terres agricoles. Des gens meurent par centaines de milliers à cause de la famine engendrée par la désertification.» Depuis toujours fasciné par l'Afrique, Pierre Marc Johnson a participé activement aux négociations pour cette convention et participe encore régulièrement aux travaux pour sa mise en application. «Mais c'est toujours complexe de faire valoir un problème essentiellement africain dans une convention internationale, déplore-t-il. Adoptée en 1994, cette convention a nécessité près de deux années de négociation. Dix ans après, elle est encore le parent pauvre des conventions en ce qui a trait au financement des mesures envisagées.»

Outre ces activités quasi diplomatiques, au cours des années qui ont suivi le Sommet, Pierre Marc Johnson a présidé de nombreux colloques sur les questions environnementales partout au monde. Il s'est aussi joint au Groupe de Lisbonne pour dénoncer la mondialisation de l'économie dans le livre Les limites à la compétitivité. «Les conférences du commerce extérieur étaient en train de normaliser à l'échelle mondiale les conditions de concurrence, mais elles ne se préoccupaient pas des enjeux sociaux, environnementaux et culturels. C'est pour cela que nous avons décidé de publier ce pamphlet qui, essentiellement, décrit les problèmes plus qu'il n'offre de solutions. Néanmoins, aujourd'hui encore, beaucoup de débats sur la mondialisation s'inspirent de ce livre qui a été traduit dans une vingtaine de langues, même en chinois», conclut-il en souriant.

Et l'avenir…

Pierre Marc Johnson est aujourd'hui avocat-conseil pour le cabinet Heenan Blaikie. Il met toujours à profit sa vaste expérience en négociation internationale en matière d'environnement, puisqu'il est négociateur en chef du gouvernement du Québec dans le dossier du bois d'œuvre et conseiller auprès de la Commission de coopération environnementale, un organisme créé au terme de l'accord nord-américain de coopération dans le domaine de l'environnement. Il se préoccupe de la responsabilité sociale des entreprises (un sujet qui passionne sa compagne Michelle Leighton, vice-doyenne d'une faculté de droit dans la région de San Francisco), il s'implique dans les conseils d'administration de plusieurs entreprises et il s'intéresse particulièrement aux questions de gouvernance et à l'interface entre les administrateurs et les gestionnaires de sociétés. De plus, il participe régulièrement à des colloques et activités d'organismes environnementaux.

À l'aube de la soixantaine, Pierre Marc Johnson a toujours un agenda de ministre et sa passion pour l'environnement ne se tarit pas. Il sait très bien que, pour faire avancer cette cause, chaque geste compte. «Maintenant, mes activités sont peut-être moins visibles, mais mieux ciblées, plus efficaces.»
 

VOX POP

L'éthique est-elle une responsabilité sociale ou individuelle?

La collectivité l'exige des personnes qui, dans des fonctions publi-ques ou privées, sont en position de décider, qui ont en commun l'influence sur l'avenir des personnes. En fait, c'est une exigence qui vient avec le pouvoir.

P. M. Johnson

 

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