Une histoire d'amour entre l'humour et la psychologie

par Odile Lamy

Pierre Légaré, l'humoriste qui brode finement autour du quotidien, était loin de se douter qu'il jonglerait ainsi un jour avec les mots lorsqu'il a commencé ses études en psychologie à l'Université de Sherbrooke en 1969.

Pour Pierre Légaré, la vie d'étudiant débute de façon plutôt inusitée. D'une part, le jeune homme fraîchement débarqué d'Iberville fait un bond de vingt ans dans le passé en se trouvant à louer, par le plus pur hasard, une chambre dans la maison qui l'a vu naître, rue du Rosaire. D'autre part, après seulement une dizaine de jours de cours en droit, il réussit à bifurquer vers son premier choix : la psychologie.

Une fois son baccalauréat en poche, Pierre Légaré entreprend, en 1972, une maîtrise en psychologie des relations humaines où il s'interroge sur les sessions de croissance personnelle, déjà prolifiques à l'époque. " Je me demandais si la psychologie behavioriste pourrait éventuellement fournir des outils et une grille mesurant l'apprentissage fait dans ces sessions ", explique-t-il. À 25 ans, Pierre Légaré avait-il déjà le don de soulever des questions insolubles ? Toujours est-il que son sujet de mémoire est refusé.

En 1973, sa scolarité de maîtrise terminée, il décide donc de prendre le chemin du marché du travail. L'année suivante, un emploi à la Commission scolaire de Saint-Jean-sur-Richelieu lui fournit la matière pour un autre sujet de mémoire. Ce nouveau projet de maîtrise traite des nombreux problèmes organisationnels qui découlent d'une loi du ministère de l'Éducation : le passage en secondaire devient obligatoire pour tout enfant de 13 ans, même si celui-ci ne possède pas le niveau de connaissances normalement acquises à la fin du primaire.

À partir d'une intervention qu'il a menée auprès de jeunes en difficulté à leur arrivée au secondaire, Pierre Légaré essaie, dans son mémoire, de répondre à plusieurs interrogations. Doit-on regrouper ces élèves et leur donner un enseignement adapté ou bien les disperser dans les groupes réguliers en leur fournissant seulement une aide ponctuelle ? Faut-il leur donner des manuels adaptés à leur niveau de connaissances ou à leur âge réel ? Vise-t-on à récupérer leur retard ou à les envoyer sur une voie plutôt occupationnelle ? Bref, tout un défi, cette maîtrise que Pierre Légaré termine en 1977. Pas étonnant qu'il ait préféré prendre son temps pour rédiger un mémoire à la hauteur des objectifs du développement organisationnel : aider les personnes à s'approprier le changement plutôt que de le subir, en leur redonnant le goût et le pouvoir d'agir devant n'importe quelle situation.

Un humoriste né ?
Le sujet du mémoire et les années passées à l'Université de Sherbrooke ne laissent nullement entrevoir une carrière d'humoriste pour Pierre Légaré. Au contraire, ce dernier prend très au sérieux ses études de deuxième cycle en psychologie des relations humaines. Pour lui, la matière enseignée " a une résonance, une correspondance, un sens", même s'il aime bien remettre en question les méthodes pédagogiques. Le travail proposé, les objectifs à atteindre, la façon de faire des enseignants, tout est passé au peigne fin par Légaré et ses collègues de classe. Mais n'est-ce pas un phénomène normal au début de l'âge adulte ? Quelque vingt années plus tard, c'est avec éloge que l'ex-étudiant rebelle parle de ses anciens professeurs. " Des profs brillants (Saint-Arnaud, Aubry, Payette, Bergeron, Gagnon, etc.) qui avaient puisé leur enseignement dans leur expérience sur le terrain et qui, à toutes fins utiles, avaient ressuscité le Département de psychologie de l'Université de Sherbrooke en lui donnant sa spécialité : le développement organisationnel. "

Bien qu'il avoue avoir eu une attitude plutôt contestataire et un tantinet chahuteuse, l'humoriste se demande encore s'il était marginal, drôle ou fatigant pendant ses études. De plus, quand on l'interroge sur ce qui l'a attiré en psychologie, il hésite entre l'observation du comportement humain et la personnalité d'un professeur de cégep qui roulait en Rover TC 2000 ! Peu importe ce qui a amené Pierre Légaré à s'intéresser à son prochain, il est facile de constater que sa carrière actuelle d'humoriste est empreinte de sa formation universitaire.

Un humour de psy
Dans ses différents spectacles, Pierre Légaré met toujours en scène l'être humain. À la manière du psychologue, il place au premier plan l'individu qui se sent souvent, dans notre société actuelle, anonyme et dépossédé du contrôle de sa propre vie. " En prime, je souhaite laisser aux spectateurs une réflexion sur ce qu'on est, ce qu'on fait, ce qu'on vit, ce qu'on ressent, précise l'humoriste humaniste. Je vois l'humour comme un outil privilégié mais non comme un but en soi. "

Résultats d'une histoire d'amour entre l'humour et la psychologie, les messages de Pierre Légaré analysent le quotidien de façon philosophique ou absurde, en essayant d'obtenir un effet de miroir dans lequel chacun se reconnaît, se compare et se rassure. Ainsi, dans son dernier spectacle intitulé Rien, il se remémore avec émotion ses peurs d'enfant. Preuves à l'appui, il démontre à son auditoire que chacun de nous s'invente ses propres frayeurs.

Dans cet effet de miroir, Pierre Légaré est d'ailleurs le premier à se retrouver. Contrairement à d'autres humoristes qui se créent un personnage naïf pour mieux se moquer du monde, le " minimaliste de l'humour ", comme il se qualifie, amuse tout en étant vrai. À la seule force de ses questionnements d'une implacable logique et de ses gags profonds, le pince-sans-rire arrive à divertir avec des thèmes, comme la peur ou la vieillesse, qui n'ont pourtant rien de drôle à première vue. Par exemple, dans le long monologue final de Rien, il propose d'inverser l'ordre chronologique de l'existence. Que diriez-vous de naître tout ridé à 80 ans, d'entrer à la maternelle à 75 ans, de connaître votre premier amour à 60 ans, d'avoir des enfants à 55 ans, de prendre votre retraite à 20 ans et de finir votre vie dans la peau d'un beau bébé joufflu ?

Sans gadgets ni artifices, Pierre Légaré compte beaucoup sur l'imaginaire et l'intelligence du public. Toutefois, cet humour à l'état pur n'est pas son seul atout. Derrière un esprit subtil et perspicace se cachent plusieurs personnages.

Un personnage polyvalent
Les premiers écrits artistiques de Pierre Légaré étaient reliés au domaine de la chanson. Ce goût pour la musique s'est d'ailleurs concrétisé pendant ses années universitaires où il fait partie de Blanc Deuil, un groupe de Saint-Jean-sur-Richelieu. " Nous composions nos propres chansons et faisions du psychédélique en québécois, se rappelle l'ex-chanteur et guitariste. L'un de nos plus grands plaisirs était d'écrire des textes dont nous étions les seuls à comprendre le sens. " Il faut croire que les paroles de Blanc Deuil n'étaient pas si incompréhensibles puisque, quelques années plus tard, Gilles Rivard, chanteur québécois aujourd'hui disparu, lui passe des commandes.

En fait, sans le savoir, les Québécois rient depuis environ vingt ans des blagues de Pierre Légaré. Dès la fin des années 70, le spécialiste en développement organisationnel écrit des textes d'humour pour la radio, la télévision, la scène et le théâtre. " J'ai mené de front ces deux carrières jusqu'en 1988 avant de m'écrire mon premier spectacle, commente l'humoriste. Il y avait une sorte d'humour qu'on ne me commandait jamais et qui est celui que je préfère et que je fais. J'ai décidé de le présenter moi-même en me disant que ça passerait ou que ça casserait. Jusqu'à maintenant, ça passe. "

Pierre Légaré est devenu aujourd'hui une figure incontournable de l'humour avec ses propres spectacles et ses passages à la télévision dans des émissions comme Piment fort, qui accroissent toujours plus sa popularité. Toutefois, son nom colle encore régulièrement à de nombreuses vedettes de la scène. Malgré un style bien à lui, il arrive, tel un caméléon, à s'effacer totalement lorsqu'il écrit pour Rolland Magdane, Claudine Mercier, Michel Barrette, pour ne citer que ces artistes. Il prête aussi sa plume à Lara Fabian, Richard Séguin, Judi Richards et compagnie.

Humoriste, artiste de variétés, scripteur, porte-parole pour l'Association des dépressifs et maniaco-dépressifs et pour Nez rouge, psychologue, conseiller en réadaptation scolaire, consultant en développement organisationnel, etc., Pierre Légaré possède de nombreuses cordes à son arc. Comme quoi une formation en psychologie ouvre bien des portes ! En passant, qui a dit que la thérapie par le rire n'existait pas ?