Aller au contenu

La chasse change-t-elle le comportement de l'ours?

Martin Leclerc étudie l’impact de la chasse sportive sur l’évolution du comportement des ours, un projet qui l'a mené jusqu'en Scandinavie.
Martin Leclerc étudie l’impact de la chasse sportive sur l’évolution du comportement des ours, un projet qui l'a mené jusqu'en Scandinavie.
Photo : Michel Caron

L’évolution est un lent processus qui se déploie sur des millions d’années : vrai ou faux? Contrairement à la croyance populaire, des études en laboratoire et en milieu naturel montrent que l’évolution peut être observée sur quelques générations seulement. On peut donc présumer que les activités humaines modifient le paysage adaptatif des populations animales et végétales. Mais jusqu’à quel point est-ce le cas?

L’évolution est un sujet qui passionne Martin Leclerc, doctorant en biologie. Martin étudie l’impact de la chasse sportive sur l’évolution du comportement des ours. Son projet l’a mené jusqu’en Scandinavie, où il travaille avec l’équipe du Scandinavian Brown Bear Research Project qui recueille des informations longitudinales sur les ours bruns.

L’humain, moteur de l’évolution

Par ses activités économiques et récréatives, l’humain remanie des pressions sélectives s’exerçant sur la majorité des espèces de la planète. Changements climatiques, perte d’habitat, pollution sont autant de facteurs qui exposent les populations animales et végétales à de nouvelles contraintes. Puisque les actions de l’homme sont souvent drastiques et touchent de grandes superficies, on pense que l’humain a un impact plus grand sur les populations sauvages que les changements naturels.

La chasse et la pêche font partie des activités qui modifient le paysage adaptatif. Elles augmentent la mortalité de plusieurs ordres de magnitude par rapport à la mortalité naturelle, d'où des conséquences sur certains traits morphologiques et traits d’histoire de vie. «Par exemple, les populations de poissons sous une pression de pêche commerciale montrent une croissance annuelle plus lente, une maturation à un plus jeune âge et à une plus petite taille, explique Martin Leclerc. Chez le mouflon d’Amérique, la taille des cornes s'est réduite en réponse à une récolte des mâles les mieux nantis, dont les attributs finissent en trophées de chasse.» Qu’en est-il chez les ours?

La chasse aux données

Depuis 1984, plus de 750 ours ont été capturés, marqués et suivis à l’aide des colliers GPS.
Depuis 1984, plus de 750 ours ont été capturés, marqués et suivis à l’aide des colliers GPS.
Photo : Michel Caron

«L’été dernier, j’ai eu l’opportunité d’assister à quelques captures réalisées par l’équipe du Scandinavian Brown Bear Research Project. Depuis 1984, plus de 750 ours ont été capturés, marqués et suivis à l’aide des colliers GPS, pour la plupart, de leur naissance jusqu’à leur décès.»

Toutes les données recueillies au cours des années par les Scandinaves aideront à déterminer si la chasse sportive induit une évolution du comportement chez les ours, plus particulièrement quant à la sélection de son habitat. «Pour ce faire, je devrai vérifier la présence des trois conditions nécessaires pour qu’il y ait évolution par sélection naturelle : la variabilité, la sélection et l’héritabilité», précise Martin Leclerc.

Afin de vérifier la variabilité, je dois montrer qu’il existe des différences de comportement entre les individus. En utilisant les données de localisations GPS, on constate des différences individuelles constantes à travers les années : certains ours fréquentent davantage les tourbières et d’autres, les coupes forestières.

Quant à la sélection, elle peut s’exprimer par les chasseurs. «On peut présumer que les chasseurs abattent davantage les ours qui fréquentent les coupes forestières, puisque cet habitat offre une plus grande visibilité et accessibilité grâce aux routes.» Martin Leclerc veut vérifier cette hypothèse en comparant le comportement des ours tués et le comportement de ceux qui ont survécu à la chasse. De manière générale, 10 à 20 % des ours munis de collier GPS sont abattus annuellement. Ces analyses sont en cours.

Finalement, au cours des prochains mois, il tentera de déterminer si le comportement de la sélection d’habitat est héritable. «J’utiliserai les données issues des colliers GPS ainsi que le pedigree de la population pour déterminer s’il existe une base génétique transmissible de ce comportement des adultes vers les oursons.» Si tel est le cas, on pourra affirmer que le comportement de sélection d’habitat a le potentiel d’évoluer au fil des générations en réponse à la sélection imposée par les chasseurs.

L’article initial a été publié dans Découvrir, le magazine numérique de l’Acfas, où vous retrouverez la version complète en lien contextuel.