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L'autonégligence chez les aînés : quand la maltraitance vient de soi

Étudiante en service social, Fiona Neesham-Grenon mène des recherches sur la négligence de soi chez les aînés et espère que celle-ci soit officiellement reconnue dans le milieu de la santé québécois

Étudiante en service social, Fiona Neesham-Grenon est aussi assistante de recherche à la Chaire sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’UdeS.

Étudiante en service social, Fiona Neesham-Grenon est aussi assistante de recherche à la Chaire sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’UdeS.


Photo : Michel Caron

L’autonégligence chez les aînés, ou la négligence de soi, est un problème bien réel au Québec. Toutefois, il n’existe pas de loi ou de cadre législatif qui protège les personnes âgées, contrairement à d’autres pays. Étudiante en service social à l’Université de Sherbrooke, Fiona Neesham-Grenon s’est penchée sur la question et a entrepris des recherches pour bien définir la problématique sociale. Présentant ses premiers résultats de recherche au Congrès de l’Acfas, la chercheuse espère que l’autonégligence soit reconnue dans le milieu de la santé québécois.

«Que peut-on faire lorsqu’une personne aînée vit dans un logement insalubre? Qu’elle refuse qu’on soigne ses plaies? Ou qu’elle décide de ne plus prendre ses médicaments?, questionne la chercheuse. Actuellement, les travailleurs sociaux qui interviennent à domicile auprès d’aînés sont confrontés à de tels défis. Ils ne peuvent pas compter sur des balises claires ni sur des pratiques d’intervention reconnues pour ces situations des plus complexes, puisque le problème n’est pas nommé comme tel dans les outils en usage dans les pratiques psychosociales. Or, comment peut-on trouver des solutions pour aider une personne si, techniquement, elle n’a pas de problème?»

Connaître le problème pour mieux le traiter

Selon les pays, les provinces ou les États, l’autonégligence est parfois reconnue comme une forme de maltraitance, parfois totalement méconnue. Au Québec, aucun écrit n’est répertorié sur le sujet. Pourtant, selon certaines sources, il s’agirait de la forme de maltraitance la plus répandue.

«Après plusieurs mois d’entretiens avec des travailleurs sociaux du réseau des CSSS, j’ai pu constater que l’autonégligence est un problème bien présent au Québec, explique l’étudiante. Les travailleurs sociaux interviewés ont tous été témoins dans leur pratique de comportements autonégligents, sans le nommer ainsi et, dans la plupart des cas, restaient avec l’impression de manquer d’outils pour intervenir adéquatement. Ils ont agi au mieux de leurs connaissances parce qu’ils ne pouvaient se baser sur aucune directive de pratique ou formation spécifiques», précise Fiona Neesham-Grenon, qui est aussi assistante de recherche à la Chaire sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’UdeS.

L’autonégligence se traduit par les comportements d’une personne âgée qui ne prend pas soin d’elle, ne répond pas à ses propres besoins, notamment en matière de santé ou de sécurité. Cela peut être par ignorance ou en raison d’une incapacité. Il peut également s’agir d’une personne âgée, totalement lucide et consciente, qui refuse des soins ou de l’aide dont elle a besoin dans ses activités quotidiennes. À titre d’exemple d’autonégligence, la chercheuse cite un manque d’hygiène personnelle, des conditions de vie peu acceptables et non sécuritaires, un logement sans chauffage et une alimentation inadéquate. La conception de l’autonégligence par les travailleurs sociaux interviewés soulève aussi toute la question de la culture et des normes sociales concernant les comportements acceptables.

Des interventions délicates

Certains pays, dont les États-Unis, possèdent une loi protégeant les personnes âgées. Semblable à la Loi sur la protection de la jeunesse, cette loi permet aux travailleurs sociaux d’intervenir sur signalement lorsqu’un aîné est en besoin de protection. Pour certains intervenants, cette absence de loi au Québec rend les situations d’intervention encore plus délicates.

«Il faut se rappeler que, dans le contexte québécois, une personne apte, quel que soit son âge, a le droit de faire des choix relativement à son style de vie et de prendre des risques si elle ne constitue pas un danger pour les autres», précise-t-elle.

L’intervention en situation d’autonégligence devient donc une pratique très complexe qui doit tenir compte de plusieurs éléments, notamment de l’autonomie de la personne aînée, de son aptitude et de sa conscience face à son mode vie, de son réseau social, de son histoire de vie, etc. Si la personne n’est pas déclarée inapte et ne veut pas obtenir de soins, on ne peut pas la contraindre à les recevoir.

Le défi de l’intervenant sera de favoriser l’acceptation des soins en créant le lien avec la personne. Une pratique qui demande des aptitudes et des compétences bien définies. Mais la chercheuse insiste : «Ce sont ces compétences et ces aptitudes qu’il faudra à tout prix identifier afin d’outiller les intervenants à agir en cas d’autonégligence. Un continuum de services doit être défini en fonction de balises claires, modulées selon l’aptitude de l’aîné, le danger auquel il est exposé, sa collaboration, etc. Les intervenants ne doivent pas porter seuls sur leurs épaules le choix du type d’intervention, et la connaissance pointue de la problématique d’autonégligence nous permettra de proposer de véritables pistes d’intervention.»