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Nos cousins les zombies

Le professeur Nicholas Dion est spécialiste de l'esthétique de l'horreur.
Le professeur Nicholas Dion est spécialiste de l'esthétique de l'horreur.

Photo : Michel Caron

Si l’on fait abstraction de la chair en décomposition, du regard vide et des bras mous à l’horizontale, l’humain et le zombie possèdent plus de traits communs qu’on l’imagine…

«À la base, le zombie est un humain, alors on peut créer une métaphore d’à peu près n’importe quel aspect de la société avec eux. C’est pour cette raison, à mon avis, qu’ils sont aussi populaires, analyse Nicholas Dion, professeur de littérature et spécialiste de l’esthétique de l’horreur. Pour les créateurs, le zombie devient une figure géniale parce qu’elle s’adapte à presque tout.»

Au fond, les œuvres sur les zombies parlent de notre condition humaine. D’une part, les zombies représentent la masse anonyme – une image d’ailleurs récupérée par le mouvement Occupy Wall Street durant lequel les gens se sont déguisés en zombies pour représenter le 99 %. «On parle souvent de la société individualiste, peut-être que le zombie symbolise notre peur de n’être finalement qu’un parmi tant d’autres, d’appartenir à une foule anonyme. À l’inverse, le zombie peut aussi évoquer la peur de cette foule, la peur de l’autre, voire de notre propre famille», souligne le professeur.

D’autre part, le zombie illustre l’individualité de l’homme devant des choix déchirants. Tout comme le zombie, il vit une constante transformation et doit retenir ses pulsions, parfois destructrices… à la différence près que la pulsion du zombie, c’est dévorer les membres de sa famille.

La naissance d’un monstre

Le zombie prend sa source dans la tradition vaudou. Il s’agit en fait d’un être humain qu’un sorcier manipule comme un pantin. «Les premiers films de zombie présentaient ce zombie-là, qui est en fait bien souvent présenté comme une métaphore de l’esclavage, explique Nicholas Dion. Ces zombies restent seulement des êtres humains contrôlés : ils n’ont pas vraiment de pouvoir et ne peuvent contaminer personne. C’est pourquoi ce type de zombie s’est perdu assez rapidement.»

Le zombie comme on le connaît aujourd’hui a émergé en 1968 dans le film Night of the Living Dead. Tout droit sorti de l’imagination du réalisateur George Romero, ce «nouveau» mort-vivant, inspiré des vampires, possède deux caractéristiques originales : il mange de la chair humaine et meurt seulement si son adversaire affecte son cerveau (d’où l’intérêt de le décapiter).

«Dans son roman I Am Legend (1954), Richard Matheson présentait des vampires particuliers qui parlaient, mais ils étaient faibles et n’avaient pas d’aura de séducteur à la Dracula. Romero a basé ses zombies sur les vampires de Matheson en conservant, par exemple, leur peur du feu. Ce monstre totalement nouveau a terrifié les audiences à l’époque. C’est l’un des premiers films d’horreur modernes, qui fonctionne d’ailleurs encore très bien aujourd’hui», raconte Nicholas Dion.

Si George Romero est considéré comme le «père» des zombies, ses successeurs ont transformé sa progéniture à leur guise. «Les autres se sont basés là-dessus pour créer leurs zombies, mais ça n’a pas donné un type immuable. Très rapidement, c’est parti dans toutes les directions. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, aucune définition du zombie ne tient la route», fait remarquer Nicholas Dion.

Romero lui-même a fait évoluer les zombies au fil de ses films : «Le lien entre une morsure et la transformation en zombie a commencé à se créer dans le 2e film. Au 3e film, il était devenu clair que dès qu’un personnage se fait mordre, il se transforme en zombie», donne comme exemple le professeur Dion.

En quête d’humanité

La transformation du zombie continue. De monstre sanguinaire dans une masse anonyme, les créateurs l’élèvent désormais au rang d’antihéros. De plus en plus d’œuvres de fiction traitent le zombie en tant qu’individu. Par exemple, la nouvelle série iZombie met en scène une jeune femme devenue zombie qui mange des cerveaux et résout des crimes.

«Dans les jeux vidéo, les zombies étaient devenus les nouveaux nazis : personne n’éprouvait de culpabilité à les tuer. Maintenant, on dirait qu’on les transforme en victimes. On essaie de retrouver leur part d’humanité, comme l’a montré Jérôme-Olivier Allard, un doctorant de l’Université de Montréal qui codirige un collectif qui s’intitule Chasseurs de zombies», ajoute Nicholas Dion. Alors, qui joue le rôle du méchant? Dans le film Warm Bodies, par exemple, on a divisé le monstre en deux : les zombies tueurs et les zombies capables de réfléchir qui, peu à peu, redeviennent humains.

«C’est quand même difficile de s’imaginer que des êtres à l’apparence humaine n’en sont pas. Quelque part, il y a toujours cet espoir de guérir les épidémies, comme si l’on était incapable de sortir de notre humanité de manière conséquente. Une partie de nous souhaite que l’individu reprenne le dessus. On se refuse à être des coquilles vides», croit le professeur Dion.