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Maladie de Lyme

Le Québec doit passer en 2e vitesse

La maladie de Lyme survient après une piqûre de la tique Ixodes scapularis, elle-même infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi.
La maladie de Lyme survient après une piqûre de la tique Ixodes scapularis, elle-même infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi.
Photo : Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie

À peine documentée il y a quelques années, la maladie de Lyme a connu un réel boum en 2013 au Québec. Pour certains spécialistes en santé des populations, dont le Dr François Milord, il est plus que temps de se munir d’un plan de surveillance rigoureux et systématique.

La maladie de Lyme doit son nom à la ville du Connecticut où elle a été suspectée pour la première fois il y a 40 ans. Elle survient après une piqûre de tique, elle-même infectée par la bactérie Borrelia burgdorferi. Les symptômes se révèlent parfois plusieurs jours après la piqûre et s’apparentent à une sévère grippe, accompagnée d’une éruption cutanée. Présente aux États-Unis, en Europe et en Asie depuis de nombreuses années, la maladie fait l’objet d’une surveillance au Québec. Jusqu’en 2010, moins de 15 cas étaient déclarés annuellement. Mais la donne change : aidée par les changements climatiques, la tique à pattes noires gagne du terrain…

Selon l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), «des populations de tiques Ixodes scapularis sont établies et infectées par Borrelia burgdorferi, et leur expansion géographique suit une progression rapide dans le sud du Québec. Cette expansion géographique, couplée à une tendance sociale valorisant les activités de plein air, favorise l’exposition des humains aux tiques infectées». L’an dernier, c’est 142 Québécois qui ont été atteints par la maladie, soit 3 fois plus qu’en 2012. La moitié de ces cas ont été acquis au Québec, alors que par les années précédentes, la majorité des personnes infectées l’avaient été en sol américain ou étranger.

Des millions de dollars sont dépensés chaque année par la province pour prévenir l’infection au virus du Nil, une autre maladie transmise par un arthropode et en émergence au Québec. Que fait donc le gouvernement pour prévenir la maladie de Lyme, qui fait maintenant plus de victimes que le virus du Nil?

Le Dr François Milord, professeur au Département des sciences de la santé communautaire.
Le Dr François Milord, professeur au Département des sciences de la santé communautaire.

Photo : fournie

«La surveillance au Québec est surtout passive : elle repose sur les tiques retrouvées chez les patients ou les animaux de compagnie et envoyées aux laboratoires», fait valoir François Milord, médecin et professeur au Département des sciences de la santé communautaire. Aussi membre du groupe d’expertise sur les zoonoses de l’INSPQ, le Dr Milord fait partie d’un ensemble de spécialistes qui vient de publier un avis scientifique sur la surveillance de la maladie de Lyme.

Des porteurs de cette maladie disent avoir peine à être pris au sérieux. Certains parlent même de «déni médical». Qu’en est-il?

François Milord : Il y a environ 10 ans, la maladie de Lyme s’attrapait essentiellement à l’étranger – nous n’avions pas d’évidence de la présence de tiques infectées au Québec. Depuis 2003, cette maladie est à déclaration obligatoire par les médecins et les laboratoires. Or la capacité de détection des cas par les médecins est faible, du fait que cette maladie est émergente et non explosive. Par ailleurs, les tests de dépistage ont une sensibilité moyenne. Mais le nombre de cas d’infection augmente, et nous savons que certains secteurs sont plus à risque, tels que la Montérégie, qui abrite des populations de tiques porteuses de Borrelia burgdorferi. La communauté médicale est aujourd’hui plus alerte et la maladie est maintenant abordée dans les médias, ce qui favorise probablement le diagnostic et la déclaration des cas. Le plan que le ministère de la Santé et des Services sociaux nous a demandé de lui soumettre vise à collecter les données de façon systématique et à intégrer l’ensemble des informations récoltées chaque année. Cela permettrait une meilleure protection du public.

Comment s’organise la surveillance de la maladie de Lyme, actuellement?

Photo : Agence de la santé et des services sociaux de la Montérégie (Louise Lambert)

F. Milord : En plus des tiques envoyées aux laboratoires, des équipes universitaires effectuent des recherches sur certains sites de la province, pour documenter la progression de la bactérie Borrelia burgdorferi. Pour l’instant, la récolte de tiques et leur analyse se limitent à quelques sites, selon les budgets disponibles. En 2012, 20 sites répartis dans quelques parcs nationaux et forêts privées ont été visités.

En somme, c’est un système de surveillance qui permet d’estimer la distribution géographique des populations de tiques et de déterminer, à l’échelle du Québec, la proportion de tiques infectées par la bactérie. Ce système fournit également des informations sur les zones d’établissement potentiel des tiques. Mais ces données ne sont pas intégrées; cette façon de faire ne permet pas de définir les zones endémiques dans l’environnement, ni d’estimer localement le risque pour l’humain. La définition des zones endémiques et le suivi local de la proportion de tiques infectées se basent sur les résultats de la surveillance active, qui n’est pas faite de façon systématique actuellement au Québec.

Quel est le plan que vous proposez et pourquoi serait-il efficace?

F. Milord : C’est un plan de surveillance de la maladie de Lyme basé sur l’intégration des données humaine et environnementale ainsi que sur l’ajout d’une surveillance active des tiques dans l’environnement. Notre plan s’articule selon trois niveaux de risque basés sur la présence de population de tiques Ixodes scapularis, de l’agent pathogène Borrelia burgdorferi mais aussi sur la présence de cas humains de maladie de Lyme. Chaque année, une carte géographique avec les niveaux de risque prévus à l’échelle des centres de santé et de services sociaux permettrait d’établir le plan d’action pour l’été suivant. Ce risque bien identifié serait communiqué aux professionnels de la santé et au public. Notre plan recommande aussi de développer des mesures de protection individuelle, de réduire les sources de risque dans l’environnement proche et d’aménager en conséquence les parcs accessibles au public. Bref, il s’agit de mieux anticiper.

Notre plan a été bien accueilli par le ministère. Reste maintenant à savoir combien de sites seront privilégiés et le financement qui sera réservé au plan. Il faut savoir qu’entre 750 $ et 1500 $ sont nécessaires pour faire fonctionner une station d’échantillonnage (il en faut une par site étudié).

Les maladies émergentes, telles que la maladie de Lyme ou l’infection par le virus du Nil occidental, modifient-elles la nature de votre travail?

F. Milord : Cela nous fait réfléchir et nous amène à penser autrement. Jusqu’à peu, nous n’avions pas imaginé que les moustiques québécois pouvaient transporter des maladies! Même si nous restons en quelque sorte protégés par notre climat, les autorités de santé publique sont bien conscientes que les tiques et les moustiques ne disparaîtront pas, et que d’autres phénomènes peuvent survenir. La maladie de Lyme et l’infection par le virus du Nil sont donc riches en apprentissage.