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Liaison, 7 décembre 2006
Libre penseur et grand faiseur
JOSÉE BEAUDOIN
S'il voulait s'enfler la tête, Yves Lenoir aurait autant de raisons de le
faire que de lignes à son curriculum vitae. Toutefois, vous ne l'y prendrez
pas. «J'estime qu'il faut éviter d'avoir la grosse tête. Il m'arrive d'avoir
des contacts avec des gens qui se prennent pour Dieu et cela m'est
insupportable», dit-il.
Professeur et instigateur
En 1988, après avoir développé une solide expertise en enseignement et en
formation des enseignants dans le milieu scolaire et au ministère de
l'Éducation, Yves Lenoir a rejoint l'Université de Sherbrooke où il est
depuis professeur au Département d'enseignement au préscolaire et au
primaire. Dans l'ensemble de ses actions et de ses travaux, il met de
l'avant une conception émancipatrice de l'éducation scolaire et cherche à
mieux décrire et mieux comprendre les pratiques d'enseignement. «L'école ne
peut pas se réduire à seulement apprendre à lire, à écrire et à compter. Il
faut y apprendre à penser, à interagir, à réfléchir. L'école, c'est un lieu
qui vise non pas à produire une élite, mais à faire en sorte que l'ensemble
des petits Québécois deviennent des citoyens responsables et s'émancipent.»
En 1991, lorsqu'il a mis sur pied le Centre de recherche sur
l'intervention éducative (CRIE), Yves Lenoir était animé d'une conviction,
celle que l'on ne peut pas travailler seul. Il y croit toujours : «Je ne
pense pas que la recherche puisse se réaliser de manière isolée. Je ne dis
pas qu'il n'y a pas de recherche individuelle, mais la capacité de se
développer sur le plan intellectuel s'inscrit pour moi dans une interaction
avec autrui. Un être humain n'est humain que parce qu'il est en interaction
avec autrui. J'aime la possibilité de confronter les façons de penser, pas
nécessairement pour les changer, mais pour les enrichir.»
Reconnu par l'Université comme centre d'excellence en recherche, le CRIE
bénéficie aujourd'hui d'un rayonnement à l'échelle internationale, compte
20 membres professeurs et quelque 130 membres étudiants inscrits à des
études de maîtrise et de doctorat en éducation. En septembre dernier, après
15 années à la direction du CRIE, le fondateur a passé le flambeau, histoire
d'avoir moins de chapeaux. Il poursuit actuellement ses travaux dans le
cadre de la Chaire de recherche du Canada sur l'intervention éducative, dont
il est titulaire depuis 2001 déjà. D'ailleurs, il va prochainement soumettre
une demande de renouvellement et promettre ainsi de rester encore sept ans.
Et le professeur n'est pas prophète qu'en son pays! De fait, Yves Lenoir
est régulièrement invité par divers gouvernements, universités et centres de
recherche au Canada, en Europe, en Amérique latine et en Afrique pour
présenter des conférences, assurer des formations ou siéger à des jurys. De
plus, depuis 2000, il préside l'Association mondiale en sciences de
l'éducation (AMSE), une organisation non gouvernementale entretenant des
relations officielles avec l'UNESCO. Il est d'ailleurs le premier professeur
hors Europe à être élu à ce poste. Créée à la fin de la Seconde Guerre
mondiale, l'AMSE avait pour mission de regrouper des chercheuses et
chercheurs en éducation de partout dans le monde dans un esprit de paix.
Intellectuel et passionné
On imagine mal le professeur Lenoir songer à la retraite puisque le
travail fait pour lui office de drogue légale. «J'aime bien concevoir. Je
suis un intellectuel et, pour moi, ce n'est pas un défaut, c'est une
qualité. J'aime ce que je fais. J'aime la recherche. J'aime l'écriture.
J'aime le contact avec les étudiants.» Sa passion lui fait oublier de
compter les heures, comme en témoigne son ancien étudiant et actuel
collègue, le professeur Abdelkrim Hasni : «Parce qu'il travaille tout le
temps, il est toujours en congé. En effet, le travail est pour lui un tel
plaisir qu'il est constamment en vacances!»
La formation à la recherche de ses étudiantes et étudiants de maîtrise et
de doctorat a toujours été une priorité pour le professeur Lenoir. Des
étudiants, il en dirige ou codirige 24 actuellement. Sylvie Routhier est du
nombre et le connaît depuis près de six ans maintenant. «Je le décrirais
d'abord comme un grand penseur, dit-elle. Son plaisir ultime est de discuter
avec ses étudiants en essayant de les amener toujours plus loin dans la
réflexion. Je pense qu'à ce niveau, il est unique en son genre et il est à
son meilleur. Tous les gens qui le côtoient reconnaissent sa grande culture
et son besoin de partager ses connaissances avec ses pairs. Pour lui,
connaître son histoire, c'est important, et il ne cesse de transmettre cette
valeur à ses étudiants. Je trouve que c'est admirable.»
Si l'histoire nous permet de mieux saisir les gens, il en est de même
pour les anecdotes qui nous permettent parfois de découvrir des talents
cachés. «Je me souviens, en 2001, avoir fait plusieurs kilomètres en sa
compagnie et celle d'un collègue luxembourgeois, raconte Sylvie Routhier.
Comme nous avions souvent de longues heures de route à faire pour nous
rendre dans les écoles, M. Lenoir trouvait que, en tant que pédagogue, il
était important pour lui de faire notre éducation musicale. Il nous faisait
donc écouter dans sa voiture de vieux chants révolutionnaires italiens,
chiliens, russes, et j'en passe! Nous avons découvert sa passion pour les
auteurs-compositeurs engagés… et surtout ses talents inédits de chanteur. Un
vrai baryton!»
Mot de la fin et de bienvenue…
Depuis le 1er décembre, donc quelques jours à peine, le Département de
travail social de l'Université de Sherbrooke compte une nouvelle employée et
brillante docteure en ses rangs en la personne d'Annick Lenoir, la fille de
notre leader. Le père doit être très fier, n'est-ce pas? «Je suis très
content pour elle, mais la fierté, c'est elle qui doit l'avoir, car c'est
elle qui a travaillé. Ce n'est pas moi.» Cela confirme ce que j'ai écrit
d'emblée… Yves Lenoir manque toutes les occasions de faire la grosse tête.
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