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Liaison région, 18 janvier 2007
Une découverte de l'UdeS pourrait
allonger la liste des gaz sous surveillance du protocole de Kyoto
PIERRE MASSE
En 1987, le protocole de Montréal visait à interdire la production des
gaz réfrigérants CFC, identifiés comme les responsables majeurs de la
destruction de l'ozone stratosphérique. Plus tard, le protocole de Kyoto
plaçait les CFC sur la liste des six catégories de gaz ayant une
contribution importante à l'effet de serre et faisant l'objet d'une
attention particulière de la communauté scientifique internationale. Une
dé-couverte de Patrick Ayotte, professeur au Département de chimie de la
Faculté des sciences de l'Université de Sherbrooke, pourrait bien ajouter
d'autres gaz à surveiller, au même titre que les CFC. «C'est un signal
d'alerte lancé aux spécialistes de l'atmosphère, car contrairement à ce
qu'on croyait intuitivement depuis des années, les basses températures font
pencher certains équilibres chimiques vers des produits nocifs», avertit ce
spécialiste des cristaux de glace.
Au palmarès des 10 découvertes de l'année
Seule découverte fondamentale au palmarès des 10 découvertes de
l'année 2006 de Québec Science, elle met fin à une controverse de 50 ans sur
un cas d'équilibre chimique qui a confondu d'illustres cher-cheurs. Cette
découverte pourrait remettre en question l'innocuité présumée d'un polluant
atmosphéri-que appelé acide fluorhydrique (HF), supposé inoffensif pour
l'ozone à basse température dans l'atmosphère. Les résultats du professeur
Ayotte indiquent plutôt que ce polluant se stabilise sur la glace sous une
forme potentiellement nocive pour l'ozone. «Grâce à un appareil de mesure
appelé spectromè-tre infrarouge, c'est la première fois qu'on observe à très
basse température la dissociation de ce gaz sur la glace. Cette forme
dissociée pourrait être la bougie d'allumage de processus chimiques qui
détruisent l'ozone. C'est à la fois inattendu et surprenant et cela
constitue un grand moment dans ma carrière car les conséquences
scientifiques pourraient être nombreuses», ajoute Patrick Ayotte. Cette
molécule qui émane de sources naturelles est également utilisée pour
certaines activités industriel-les, notamment dans les secteurs sidérurgique
et pétrolier, ainsi que dans la préparation des circuits in-tégrés.
1re loi : range ta chambre!
Pour comprendre ce qui a permis cette découverte, imaginez l'atmosphère
comme une chambre d'adolescent. Les parents savent d'expérience que sans de
nombreux rappels à l'ordre, la chambre tendra naturellement vers un état de
plus grand désordre!Si l'adolescent est féru de science, il pourrait même
opposer une fin de non-recevoir aux demandes répétées de grand ménage
puisqu'elles s'opposent à un grand principe de maximisation du «désordre»
qui régit tout l'univers et surtout sa chambre… C'est ce que les
thermodynamiciens appellent le principe de maximisation de l'entropie. C'est
la prise en compte de cette loi fondamentale qui a permis à Patrick Ayotte
de comprendre enfin comment les basses températures pouvaient favoriser la
dissociation du HF sur la glace. Avant que cette chambre imaginaire ne soit
abandonnée aux mains adolescentes, vous auriez pu voir les éléments qui
constituent la molécule, sous forme d'ions, bien rangés chacun dans des
tiroirs sépa-rés. Laissez le temps faire son œuvre et vous trouverez les
tiroirs à moitié ouverts et les ions éparpillés dans toute la pièce. Ce
désordre favorise par exemple le regroupement des ions H+ et F- qui forment
ainsi la molécule de HF.
2e loi : quand le froid ramène l'ordre
Une 2e loi fondamentale des équilibres chimiques favorise exactement
l'inverse. Elle cause la dissocia-tion des molécules en ions qui possèdent
une énergie plus basse que la molécule. Plus l'énergie finale est basse et
plus le système est stable. Pour le HF dans la glace, cette loi favorise
donc la dissociation en ions H+ et F- plus stables que la molécule HF.
À température ambiante, la propension au désordre est tellement puissante
qu'elle prédomine sur cette 2e loi. C'est pourquoi l'atmosphère est
majoritairement composée de HF sous sa forme moléculaire. Par contre, le
professeur Ayotte a montré qu'en abaissant la température en dessous de
-120 ºC, les forces qui poussent au désordre
diminuent considérablement dans la glace. Par conséquent, la 2e loi finit
par l'emporter sur la 1re et le HF se dissocie en ions H+ et F-.
Étonnamment, plus on refroidit, plus le HF a tendance à se dissocier! C'est
cet ion F- qui est réactif et pourrait être dommageable pour l'ozone.
Reconsidérer l'innocuité présumée de certains gaz
Depuis des années, les chimistes de l'atmosphère n'étaient pas très
attentifs aux effets de ce gaz, car sans prendre en compte les effets
combinés de ces deux lois, ils déduisaient que la dissociation en ions
nocifs pour l'environnement n'était pas possible à basse température. Ces
spécialistes devront peut-être reconsidérer leur position à la suite de la
découverte du professeur Ayotte. «Il n'y a peut-être pas nécessairement de
danger immédiat pour l'environnement. Toutefois, certains gaz devraient être
étudiés plus attentivement, car leur comportement à basse température va
parfois à l'encontre de l'intuition, mais pas contre les lois de la nature.
Cela prouve qu'il faut questionner la nature sans cesse! Avec l'avènement de
l'Année polaire internationale en 2007-2008, l'amélioration de notre
compréhension des mécanismes moléculaires fondamentaux sur la glace et la
neige nous réservent certainement d'autres surprises», conclut le chercheur
de l'Université de Sherbrooke.
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Les recherches du professeur Patrick Ayotte, de l'Université de
Sherbrooke, ont été retenues parmi les 10 découvertes de l'année de
la revue Québec Science.
Photo : Roger Lafontaine
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