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Liaison, 6 juillet 2006
L'île Rouge, l'autre continent
Étudiant de 3e année au baccalauréat en géomatique
appliquée à l'environnement, Patrick Desautels a la chance d'effectuer un
stage à Madagascar pour tout l'été. Le projet sur lequel il travaille touche
à des enjeux socioéconomiques importants pour le peuple malgache. Ses tâches
principales consistent à cartographier les zones de ruissellement en vue de
prévenir l'érosion hydrique dans le bassin du lac Alaotra. Dans son premier
récit, il nous parle de ses premiers contacts avec sa terre d'accueil.
PATRICK DESAUTELS
Étudiant au baccalauréat en géomatique
21 h 55. Par le hublot de l'appareil qui exécutait alors son approche
finale, je commençais déjà à distinguer quelques formes au sol, et ce,
malgré la nuit qui s'y était installée depuis un bon moment. À quelques
minutes de fouler le sol d'une contrée située à l'autre bout du monde, les
palmiers isolés m'apparaissaient comme une jungle luxuriante et les petites
maisonnées, d'où s'échappait une faible lueur, comme des camps de chasse à
l'éléphant. L'énervement, sans doute, me poussait à disjoncter de la sorte;
c'est plutôt la végétation sporadiquement répartie des collines des hauts
plateaux qui pour la première fois défilait sous mes yeux.
Comme à la télé
Tous les voyageurs ont été invités à emprunter un escalier amovible afin
de descendre directement sur la piste d'atterrissage de l'aéroport
d'Antananarivo. Tel un troupeau de zébus complètement dépaysés, nous
déambulions près des moteurs de notre Boeing qui soulevaient la poussière
accumulée sur la piste et avons bien vite été entourés de gendarmes pour
nous escorter vers l'aérogare. En raison de la sécurité qui entourait notre
arrivée, je me sentais un peu comme le président des États-Unis en visite
diplomatique à Madagascar, mais avec les politiciens et les photographes en
moins. Heureusement, l'accueil fut beaucoup plus chaleureux une fois à
l'extérieur du terminal, bagages en main. En effet, j'aperçus à travers la
foule un petit garçon qui tenait bien haut une affiche où, évènement sans
précédent, était inscrit mon nom plutôt que celui d'un quelconque inconnu.
En dissimulant maladroitement un large sourire de fierté en raison de
l'importance que je me voyais accorder, c'est en me pavanant que je me
dirigeai vers le jeune homme et sa mère, qui est ma superviseure de stage
pour les prochaines semaines.
L'adaptation
Contrairement à ce que le chanteur Daniel Bélanger pourrait penser,
l'insomniaque que j'étais lors de ma première nuit ne s'amusait pas du tout!
J'ai passé en revue plusieurs excuses pour justifier mon manque de sommeil
lors de cette première nuit : décalage horaire, mal du pays, coqs saluant le
lever du soleil au clair de lune, etc. Finalement, après une nuit sans
dormir dans un grand appartement à moi seul, on m'emmena faire un premier
tour de ville. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il y a du monde dans
cette capitale! Les motocyclistes, les automobilistes, les cyclistes et les
piétons partagent avec une habileté déconcertante les mêmes voies de
circulation. Le petit Occidental que je suis n'a qu'à bien se tenir, car il
ne semble pas avoir d'équivalent en dialecte malgache pour l'expression
française «priorité piétons»! Les premiers jours, c'est avec vigilance que
je devais traverser les carrefours giratoires, en prenant au passage une
bonne bouffée de l'épaisse fumée noire laissée par les autobus que je
soupçonne de carburer à l'essence au plomb. Toutefois, avec le temps, ce qui
me semblait si inusité me paraît aujourd'hui routinier; c'est impressionnant
ce qu'une bonne capacité d'adaptation peut réaliser!
La découverte
Madagascar est une île aux multiples contrastes; la savane de l'ouest où
les baobabs semblent régner avec bienveillance sur la végétation herbacée,
la forêt vierge de l'est habitée par plusieurs espèces endémiques de
lémuriens, le climat plus désertique du sud qui conditionne la présence de
magnifiques plages qui n'ont rien à envier à leurs collègues floridiennes,
le massif de la montagne d'Ambre au nord dominant le pays par son imposante
stature… Tous ces décors fantastiques viennent subjuguer le voyageur qui ne
sait plus où donner de la tête devant tant de beauté que l'Homme n'a pas
encore exploitée. Cependant, il ne faut pas se contenter de visiter
Madagascar. Il faut le vivre. Une journée de bronzage sur les plages de Nosy
Be n'équivaut en rien à une soirée entre amis à entonner des classiques du
folklore malgache autour d'une guitare et d'une bouteille de whisky. Les
Malgaches sont chaleureux, hospitaliers et rayonnants de joie de vivre :
impossible de ne pas succomber au charme de ce peuple qui m'a accueilli à
bras ouverts.
La réflexion
Quelques jours avant mon départ, je suis allé chez le dentiste. Faisant
allusion à l'extrême pauvreté du pays, il me dit, alors que j'étais dans une
position vulnérable pour avaler une mouche : «Madagascar? Ouin, ça va te
donner le temps de réfléchir en masse une expérience comme celle-là…»
Eh bien, oui, j'ai réfléchi. De voir ces enfants avoir du plaisir pendant
des heures avec des cerfs-volants confectionnés à même des sacs d'épicerie,
de voir ces mendiants pouffer d'un rire orgueilleux lorsqu'un étranger prend
la peine de les saluer en malgache plutôt qu'en français et penser que nous,
pauvres petits Occidentaux que nous sommes, passons trop souvent à côté des
réels plaisirs de la vie en se laissant contrarier par des évènements banals
qu'on ose appeler «problèmes», ça fait réfléchir.
Si mon ignorance et mon goût du dépaysement m'ont attiré à
Madagascar, c'est sans contredit la simplicité de ses habitants qui m'y fera
revenir. Madagascar : coup de foudre garanti ou ariary remis. |
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Deux lémuriens, des primates des régions tropicales
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Patrick Desautels, stagiaire à Madagascar. |