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Liaison, 29 septembre 2005
L'hyperindividualisme de nos sociétés modernes :
un bien ou un mal?
STÉPHANIE RAYMOND
Hédonisme, culte du corps et de l'autonomie, faillite des
grandes idéologies… L'individualisme de nos sociétés modernes a atteint un
tel point, selon Sébastien Charles, professeur de philosophie à la Faculté
de théologie, d'éthique et de philosophie (FATEP), qu'on doit aujourd'hui
parler d'hyperindividualisme. Pour le meilleur et pour le pire, comme des
spécialistes du Québec et de France l'ont démontré dans le cadre du colloque
Comment penser une société d'individu? Nouveaux défis, nouveaux enjeux,
qui s'est déroulé du 22 au 24 septembre à la FATEP.
La notion d'individualisme remonte au XVIIe ou au XVIIIe siècle,
alors que les gens, notamment avec la Révolution française de 1789, ont
voulu abolir les balises traditionnelles de la religion et de l'État.
«Depuis ce temps, on se pose la question : est-ce une bonne chose? explique
Sébastien Charles, organisateur du colloque pour le Québec. D'une part, il
paraît fantastique de vivre ainsi, de façon libérée. Mais d'autre part,
comment trouver un sens à la vie sans les cadres offerts par l'État et la
religion?»
Émergence de phénomènes paradoxaux
La radicalisation de l'individualisme s'opère depuis les années
soixante ou soixante-dix. La religion n'est presque plus pratiquée et
n'offre donc plus de règles de vie. Et l'État? Sébastien Charles cite un
collègue pour répondre à cette question : «La dictature, c'est ferme ta
gueule; la démocratie, c'est cause toujours!»
Avec l'hyperindividualisme apparaissent plusieurs phénomènes
paradoxaux. La recherche des plaisirs, du confort et du bien-être d'une
part, et des gens de plus en plus angoissés d'autre part. Le culte du corps,
de la beauté et de la santé d'un côté, et un nombre croissant des cas
d'obésité de l'autre. La faillite des grandes idéologies et la prolifération
des sectes, etc.
«Ces paradoxes s'expliquent par le fait que les gens
responsables fonctionnent bien dans une société individualiste, indique le
professeur. Mais ce n'est pas le cas de certaines personnes qui,
lorsqu'elles se retrouvent sans balises, présentent des comportements
irresponsables et égoïstes. Mais on commence à entendre des discours qui se
dressent contre ce fait, on sent une prise de conscience.»
Sébastien Charles se dit plutôt optimiste face à l'hyperindividualisme,
ce qui n'est pas le cas de tous les spécialistes de la question. «La
solution passe par l'information et l'éducation des individus,
explique-t-il. Il faut éduquer les gens à être responsables et à s'informer
par eux-mêmes, en mettant en place des structures qui favorisent la
responsabilisation. Par exemple, des formations journalistiques au point
pour que l'information transmise soit crédible, la vulgarisation
scientifique, la sensibilisation des gens pour qu'ils fassent l'effort
d'aller puiser dans les nombreuses sources d'information qui existent.»
Colloque
C'est face à cette radicalisation de l'individualisme que
Sébastien Charles et son homologue français Pierre-Henri Tavoillot,
professeur à l'Université Paris IV-Sorbonne, ont décidé de tenir un colloque
sur le sujet. «Nous sommes tous conviés, gens des médias, universitaires,
chefs d'entreprise et chacun de nous comme individus, à réfléchir à l'hyperindividualisme
pour trouver des solutions», affirme Sébastien Charles.
Des spécialistes de plusieurs domaines étaient présents.
Psychologues, sociologues, ethnologues se sont interrogés sur la notion
d'identité. Des juristes ont tenté de montrer comment faire pour que des
gens qui interprètent les choses de façon individuelle se conforment à des
normes imposées par des lois. Des théologiens ont parlé du phénomène de la
«spiritualité par le bas», où les gens veulent être religieux, mais sans
obligations ni sanctions venant de l'Église. Des éducateurs se sont demandé
comment passer un message universel à des individualistes. Finalement, la
grande conférence a été d'ordre politique : Comment gouverner une société
d'individus?
Le colloque s'est terminé par la conférence du spécialiste de
l'histoire du XXe siècle en
France, Marc Ferro, sur Les individus et groupes sociaux devant les
crises du XXe siècle. Des actes seront publiés à la suite du
colloque pour faire part des réflexions avancées.
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Sébastien Charles est professeur de philosophie à la Faculté de
théologie, d'éthique et de philosophie.
Photo : Roger Lafontaine |