Biodiversité : repenser le commerce
SOPHIE PAYEUR
La biologiste Maria del Rosario Ortiz s'est donné tout un défi :
concevoir des indicateurs capables de mesurer rigoureusement les impacts du
commerce international sur la biodiversité à l'échelle de notre planète.
Elle compte aussi démontrer comment la production agricole destinée à
l'exportation agit sur la santé et la sécurité alimentaire des pays en voie
de développement. D'une ampleur colossale, son projet de doctorat reçoit
l'appui de la Faculté des sciences et de l'Observatoire de l'environnement
et du développement durable. Il pique aussi la curiosité d'un nombre
croissant d'organisations internationales.
Consultante en environnement, Maria del Rosario Ortiz travaille depuis
plus de 15 ans pour le bien d'organisations internationales. Elle milite
activement pour la protection des forêts et de la biodiversité en Amérique
latine et au Canada et a coordonné plusieurs réseaux environnementaux
d'envergure internationale. Le cheval de bataille qu'elle enfourche
aujourd'hui est né d'un constat issu de ses nombreuses expériences. «Les
scientifiques qui se préoccupent de la biodiversité ont conçu des
indicateurs biophysiques qui permettent de suivre l'évolution de la
diversité biologique à l'échelle de la planète, explique la biologiste. Mais
rien ne lie ces indicateurs aux activités commerciales et aux échanges
internationaux qui minent l'état des écosystèmes et de leurs ressources.»
Notre alimentation, notre santé, notre économie, nos énergies, notre
habitat, nos transports dépendent tous de la richesse et de la diversité des
ressources biologiques. Au cours des dernières décennies, toutefois, le taux
de disparition des espèces s'est avéré plus élevé que jamais auparavant.
Certaines estimations indiquent que sur les 1,7 million d'espèces
répertoriées jusqu'à présent sur la planète, plus de 130 disparaîtraient
chaque jour. La détérioration des habitats serait la principale cause
d'appauvrissement de la biodiversité.
Pour tenter de neutraliser cette vague de disparition à l'échelle de la
planète, 150 pays réunis en 1992 au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro ont
accepté de signer la Convention sur la diversité biologique. Ce protocole
s'est donné pour mission de réduire de façon significative le taux de
disparition des espèces d'ici 2010. «C'est évident qu'on n'y arrivera pas à
temps, mais le but fixé par la Convention a entraîné la mise sur pied d'une
quinzaine d'indicateurs qui permettent de suivre l'évolution des choses,
précise la consultante en environnement. Si nous voulons faire de réels
progrès, je crois qu'il faut aussi bâtir des indicateurs impliquant les
réalités socioéconomiques liées à la perte de diversité biologique. Ces
réalités sont les causes profondes de la perte de la richesse biologique.»
Effectué sous la direction de la professeure Colette Ansseau, le projet
de Maria del Rosario Ortiz part de l'idée que la production de denrées
agricoles ou marines destinées à l'exportation est beaucoup plus
dévastatrice pour la biodiversité que la production d'aliments destinés à la
consommation locale. Autrement dit, la mondialisation des marchés cause
beaucoup plus de tort à l'environnement qu'une production réservée à la
population de la région où elle est effectuée.
Depuis les années soixante, le commerce international des aliments a
quadruplé en tonnage; d'après le Worldwatch Institute, le chemin parcouru du
champ à la table par un aliment serait aujourd'hui de 2500 km en moyenne en
Amérique du Nord. «Des indicateurs associés aux distances parcourues par des
produits destinés à la consommation locale et des produits conçus pour
l'exportation sont des outils puissants pour améliorer l'état de la
biodiversité et atteindre les objectifs de la Convention sur la diversité
biologique», explique la biologiste.
Maria del Rosario Ortiz compte aussi établir un ensemble d'indicateurs
rattachant le commerce international des aliments à la sécurité alimentaire,
à la santé et à la biodiversité. «Plus de 80 % de la population mondiale vit
en région rurale où se retrouve la plus grande partie de la richesse
biologique de la planète, indique la chercheuse.
Pour mettre au point des indicateurs qui mesurent des relations aussi
complexes, la biologiste compte effectuer au moins quatre études de cas,
dont une examinant la situation du soya en Argentine. Maria del Rosario
Ortiz devra plus précisément établir des comparaisons entre, par exemple, la
superficie du territoire utilisé pour la monoculture industrielle et la
superficie de l'ensemble des aires cultivées, ou encore entre le nombre
d'emplois agricoles dédiés au marché local et le nombre d'emplois dédiés aux
exportations.
Le projet de Maria del Rosario Ortiz a attiré les foules de la 7e Convention
des parties de la Convention sur la diversité biologique (CDB) tenue en
février à Bangkok, où elle était invitée pour présenter son projet. La
chercheuse est aussi invitée à un atelier de travail qui se tiendra en mai
en Angleterre au sujet de l'application et de l'avancement des objectifs
fixés par la CDB. La biologiste espère présenter ses premiers résultats de
recherche à la 8e Convention des parties ayant adhéré à la CDB en
mai 2006, au Brésil.
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