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Liaison, 10 mars 2005
Pour un meilleur usage des statistiques
SOPHIE PAYEUR
Peut-on faire un usage objectif des statistiques? Oui, répond fermement
Ernest Monga. Le mathématicien ne le cache pas : il en a assez de voir les
chiffres apprêtés à toutes les sauces. Pour éviter de faire dire aux
statistiques des choses qu'elles ne disent pas, Ernest Monga milite
ardemment pour la mise sur pied d'une corporation professionnelle propre aux
statisticiens.
Une partie importante des travaux d'Ernest Monga trouve ses applications
dans la sphère commerciale. Avec deux collègues informaticiens, André Mayers
et Shengrui Wang, il met par exemple au point des méthodes statistiques pour
identifier les signes précurseurs de risques de faillite chez les détenteurs
de cartes de crédit. Ces travaux sont effectués en collaboration avec une
banque bien établie au Canada. Selon le chercheur, la capacité d'anticiper
ne serait-ce que 1 ou 2 % des faillites personnelles permettrait aux banques
d'économiser plusieurs millions de dollars au Québec et des milliards à
l'échelle du Canada.
Mais les travaux qui suscitent la plus grande fierté d'Ernest Monga sont
manifestement ceux qui résultent de sa collaboration avec les médecins. En
analysant de près les électrocardiogrammes de patients, le statisticien
parvient à tirer des informations fort pertinentes pour l'établissement de
diagnostics. «Des motifs particuliers émergent des courbes recueillies par
électrocardiogramme. En analysant un simple écart, qui caractérise une
différence morphologique, on arrive à associer la forme à des sous-groupes
de motifs et, ultimement, à une pathologie.» Cette méthode de classification
est un outil précieux pour le diagnostic.
Une profession malmenée
Ernest Monga le répète : les statistiques et leurs auteurs interviennent
dans toutes les sphères de la vie. Il estime toutefois que le travail des
statisticiens est méconnu et mal utilisé : «Lors d'enquêtes statistiques,
notre expertise est sollicitée pour les trois premières étapes : la
planification, la cueillette des données et l'analyse statistique. Mais la
dernière étape qu'est l'interprétation des données est confiée à d'autres.
Cette interprétation est généralement assujettie à toutes sortes d'enjeux
qui n'ont rien à voir avec les étapes précédentes : des enjeux sociaux,
politiques, économiques, etc. L'idée que l'on peut faire dire n'importe quoi
aux chiffres vient du fait que cette étape est prise en charge par des
groupes qui dénaturent le travail effectué précédemment.»
Aux yeux du chercheur, l'interprétation est un véritable art qui ne doit
pas être laissé aux mains des non-initiés. Les chiffres, souligne-t-il, ont
bel et bien une valeur absolue, à la condition qu'ils soient utilisés dans
des modèles appropriés, à l'intérieur du cadre qui leur confère cette
signification objective. «Il arrive que des groupes de pression passent des
«commandes» à des firmes statistiques, confie Ernest Monga, des commandes
dont les résultats sont déjà connus… C'est particulièrement vrai en période
d'élections. Pas étonnant que le travail des statisticiens ne soit pas pris
au sérieux.»
Pour Ernest Monga, la solution est toute trouvée : il faut mettre sur
pied une corporation de statisticiens régie par les mêmes règles que celles
des avocats, des ingénieurs ou des médecins. «Nous effectuons un travail
scientifique qui repose sur un savoir-faire rigoureux. Une corporation en
bonne et due forme permettrait d'effectuer un contrôle sur le travail des
statisticiens et de rendre obligatoire le recours à notre expertise pour
l'interprétation des données recueillies lors d'enquêtes statistiques.»
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Selon le mathématicien Ernest Monga, l'idée que l'on peut faire dire
n'importe quoi aux chiffres vient du fait que, dans une enquête
statistique, l'interprétation est prise en charge par des groupes
qui dénaturent le travail effectué par les statisticiens.
Photo SSF : Roger Lafontaine |