Liaison, 30 septembre 2004
Philosophie
Quand le modernisme se radicalise
STÉPHANIE RAYMOND
Il n'y a que trois ans que Sébastien Charles est professeur de
philosophie à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie. Déjà,
ses publications et travaux de recherche commencent à faire leur marque au
Canada et en France. Les subventions arrivent, en même temps que les
prémices de la notoriété.
Tout dernièrement, Sébastien Charles a été encensé par le Devoir et
Radio-Canada ainsi que par certains journaux français pour son introduction
au dernier livre de Gilles Lipovetsky, Les temps hypermodernes, et pour son
entretien avec l'éminent philosophe français publié à la fin de l'ouvrage.
C'est que le professeur originaire de Nancy a constaté à son arrivée au
Canada en 1995, alors qu'il venait faire un doctorat à l'Université
d'Ottawa, que certains nouveaux philosophes français étaient très peu connus
ici. «J'ai alors voulu les faire découvrir, en publiant des articles les
présentant ainsi que des entretiens avec eux. J'ai donc été amené à en
rencontrer plusieurs, dont Gilles Lipovetsky.»
En 1999, Sébastien Charles publiait le recueil de ses écrits, Une fin de
siècle philosophique. Cet ouvrage a été réédité en 2003 au Livre de poche
sous le titre La philosophie française en questions.
Le directeur de la collection «Nouveau collège de philosophie» des
éditions Grasset, Pierre-Henri Tavoillot, a alors proposé aux deux
philosophes de produire un ouvrage en commun. «J'ai lu toutes les
publications de Gilles Lipovetsky afin de pouvoir bien présenter sa pensée,
indique Sébastien Charles. Et j'ai particulièrement travaillé son concept d'hypermodernité.»
Un succès exceptionnel
Le livre Les temps hypermodernes a connu beaucoup de succès depuis sa
parution en janvier 2004. Déjà, quatre contrats de traduction (en anglais,
portugais, espagnol et chinois) ont été signés, et deux autres devraient
l'être sous peu. Plus de 8000 exemplaires ont été vendus en France, ce qui
est assez exceptionnel pour un ouvrage traitant d'un sujet pointu de
philosophie.
Sébastien Charles poursuit toujours sa réflexion sur le concept d'hypermodernité,
en se questionnant sur sa pertinence et en y apportant son angle de vue
propre, notamment en se servant de l'exemple du milieu universitaire. Il a
de plus donné des conférences à ce sujet au Mexique et au Brésil.
En résumé, le concept d'hypermodernité veut remplacer celui de
postmodernité, qui ne décrit pas notre époque de façon satisfaisante. «Le
postmodernisme sous-entend que le modernisme est révolu, alors que ce n'est
pas le cas, explique le professeur. Avec l'hypermodernité, on démontre
plutôt que les principes du modernisme – le marché, la science, la
démocratie et les droits de l'homme – se sont radicalisés.»
Sébastien Charles nourrit maintenant le projet de publier un ouvrage
grand public intitulé L'hypermodernité expliquée aux enfants et souhaite
organiser dans la région de Sherbrooke un colloque franco-québécois consacré
à l'individualisme contemporain à l'automne 2005.
Subventions du FQRSC et du CRSH
Après avoir obtenu en avril 2002 une subvention jeune chercheur du Fonds
québécois de la recherche sur la société et la culture de 45 000 $ sur trois
ans pour un projet s'inscrivant dans la continuité de son travail doctoral,
Sébastien Charles a reçu en mai 2004 une subvention de recherche de 64 500 $
du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, pour une période de
trois ans également. Son projet de publication porte sur le cartésianisme
des Lumières.
«Mon but est de montrer l'influence de René Descartes (mort en 1650) au
cours du XVIIIe siècle, et donc de prouver que le siècle des Lumières n'est
pas aussi empirique qu'on le dit. C'est faux d'attribuer le monopole au
philosophe anglais John Locke. Il s'agit donc de réévaluer le rôle du
cartésianisme à sa juste valeur.»
Le professeur reprend pour cela des textes du XVIIIe siècle, entre autres
sur l'existence ou non d'une âme animale, où l'on constate l'influence du
cartésianisme. Une série d'articles ou un ouvrage de fond sera publié à
l'issue de ces recherches.
Sébastien Charles s'est intéressé au siècle des Lumières pour deux
raisons : d'abord, ce siècle de crise politique et religieuse, de
redéfinition des valeurs, d'individualisme et de découvertes scientifiques
ressemble étrangement au nôtre. «De plus, la façon de concevoir la
philosophie à cette époque se rapproche beaucoup de ma conception
personnelle. Il n'y avait alors pas d'esprit dogmatique, systématique, et le
rapport entre philosophie et littérature était très étroit. Mon attirance
pour le siècle des Lumières a d'abord été d'ordre méthodologique»,
conclut-il.
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