Liaison, 22 février 2001

 

Quand la publicité tire la langue…

 

La Commission des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française était de passage à la Faculté d’éducation le 19 janvier. Lors de cette journée thématique sur la qualité de la langue, Catherine Melillo, chargée de cours au programme en rédaction-communication et vice-présidente chez IDEA Communications, a présenté une réflexion sur la qualité du français dans la publicité. Liaison reproduit ici de larges extraits de sa communication.

La rédaction

 

CATHERINE MELILLO

La publicité poursuit d’abord et avant tout un objectif commercial, c’est là sa raison d’être. Et comme elle est omniprésente dans notre société (on évalue à 500 le nombre de messages publicitaires qui nous atteignent chaque semaine), elle se fait un véhicule important de la langue, écrite et parlée.

Compte tenu de son objectif premier, la publicité tend à emprunter la langue du public qu’elle vise. Tantôt huppée, elle adopte un niveau de langue relevé, tantôt racoleuse, elle se permet quelques écarts de conduite; tantôt adolescente, elle se rebelle contre toute règle. Devrait-elle se préoccuper davantage de son rôle sociolinguistique? (…)

La pub – et pour certains la pute – est plus souvent pointée du doigt que bien d’autres quant à plusieurs aspects, justement à cause de son pouvoir de séduction et donc de son effet sur les comportements des consommateurs. Mais ne tirons pas sur la langue de la publicité. Pas avant d’avoir jeté un coup d’oeil du côté des téléromans, de l’humour, de la chanson populaire…

La responsabilité de la pub

Au cours des dernières décennies, la publicité québécoise s’est affirmée, passant de simple traduction de l’anglais en provenance de l’Ontario ou des États-Unis à pure création. Elle s’est donc épanouie et a connu, au cours de son évolution, des histoires à succès, teintées, bien sûr, d’une culture on ne peut plus… distincte. (…)

Comme le disait si bien Jacques Bouchard dans Les 36 cordes sensibles des Québécois, les Québécois aiment la publicité et en font un aspect important de leur appartenance nationale. Avec elle, ils ont grandi. Ils l’ont suivie dans leur chemin de l’émancipation tant féminine que sociale. Ils ont adhéré aux courants nouveaux qu’elle leur a proposés, les faisant passer des valeurs et des stéréotypes des années 1950 aux partys rave du XXIe siècle.

Alors si la publicité a la prétention d’agir sur les comportements, de changer les mœurs, d’imposer de nouveaux courants, elle doit aussi reconnaître l’influence qu’elle exerce sur l’usage de la langue. C’est là ma conviction.

Mais elle n’est pas la seule! La chanson populaire, le petit écran, les nouvelles technologies, l’humour, le cinéma, le théâtre ont aussi leur responsabilité quant à la qualité de la langue qu’ils transmettent.

Des entorses aussi sévères que des "si j’aurais", "je m’ai ben faite avoir", "ma gang de malades, vous êtes donc où?", "dans mes erreurs les plus pires" et malheureusement bien d’autres erreurs de syntaxe, de conjugaison et beaucoup d’anglicismes tapissent notre paysage culturel québécois.

Nier l’influence de ces véhicules de la langue, incluant la publicité, c’est se complaire dans l’ignorance, c’est accepter le nivellement par le bas, c’est s’abandonner à des considérations strictement mercantiles, c’est se porter volontaire au déclin de la langue française au Québec, c’est s’oublier en tant que seule nation française en Amérique du Nord.

La qualité de la langue

De façon générale, j’estime que la qualité de la langue de la publicité, traduite ou non, varie de passable à très bonne. Bien sûr, on note que la qualité et le niveau de langue changent selon le public ciblé. En effet, les publicités qui s’adressent à des gens plus fortunés, plus âgés et plus instruits présentent un français presque impeccable, évitant les grossières erreurs de conjugaison, de syntaxe, de grammaire, etc. Quelques calques de l’anglais y fleurissent encore tout de même.

Par ailleurs, on s’adresse aux 30-55 ans avec beaucoup plus d’audace et de créativité. On utilise beaucoup de symboles de toute cette génération des baby boomers, caractérisée par l’éclatement des valeurs et l’ouverture sur l’extérieur. Quoique bonne, la langue se permet plus de couleurs et de saveurs québécoises. Les expressions familières fourmillent et les phrases choc se multiplient. Cependant, lorsqu’on parle aux moins de 25 ans, on le fait avec beaucoup de relâchement.

Pour s’adresser au grand public, on fait une espèce de moyenne de ces niveaux pour en arriver, somme toute, à quelque chose de convenable.

"Check-moi ben rider man"

J’aimerais revenir à ces publicités conçues pour attirer l’attention des moins de 25 ans, plus particulièrement des adolescents, parce que c’est ici que le bât blesse actuellement. Au moment où s’installe ce que j’appelle une "culture de l’écran", tout convergeant vers un écran d’ordinateur ou de téléviseur, se manifeste aussi une paresse langagière sans pareille.

Il est vrai que les adolescents sont les consommateurs les plus difficiles à toucher, justement parce qu’ils refusent toute règle, surtout celles qui émanent de leurs aînés. Mais en même temps, ils les assimilent. C’est là leur plus profond paradoxe.

Jouer le jeu de la délinquance linguistique est à mon avis aussi condamnable que la délinquance sociale. On n’apprend pas aux jeunes à respecter ni à aimer leur langue. Au contraire, à la télé et à la radio surtout, on la bousille, on lui fait mal, on l’ampute, on l’empoisonne, puis on fait signe que c’est correct. Pourtant, il est possible d’en arriver à une facture jeune, dynamique et tout à fait éclatée, sans contrevenir aux règles du français.

Voici quelques exemples : l’hiver dernier, une compagnie de bière invitait les jeunes planchistes à participer à un concours dans divers centres de ski avec le slogan Check-moi ben rider man; on ne compte plus les annonces de sports extrêmes et de jeux vidéo et, ô malheur, d’institutions d’enseignement même universitaires (je l’ai moi-même entendu sur les ondes d’une station régionale) utiliser les "full cool", ou "full hot"… selon la saison, j’imagine; Vidéotron annonce son câble haute vitesse ainsi Plus vite, plus l’fun; Kia s’amuse à vendre le Sportage avec le slogan C’est good pour le Mojo (…).

La plupart de ces annonceurs ont assurément atteint leurs objectifs commerciaux à court terme. Mais qu’en est-il de l’image? Personnellement, je n’achète pas. (…) Et je ne suis pas la seule à réfléchir ainsi! (…)

À mon avis, le manque de connaissance de la langue mène à l’irrespect. Plus on connaît une langue sous toutes ses coutures, plus on participe à son épanouissement et à son rayonnement. Ce qui nous amène à la considérer non plus comme un simple outil, mais plutôt comme un héritage, un trésor, un témoignage, un être vivant, une preuve d’existence. (…)

N’allez surtout pas croire que je souhaite qu’on adopte le français de France et que l’on s’aligne sur un français standard international. Non! Je crois au français québécois, à sa richesse, à sa couleur, à son identité et surtout à sa force de frappe, puisqu’il faut parler de langage persuasif en publicité.

Tout ça, c’est bien beau, mais ça ne se fait pas en criant "ciseaux!". Il faut mettre des efforts et surtout éviter la facilité quand elle nous amène sur des chemins hasardeux. Si notre première idée nous entraîne vers les anglicismes, les entorses à la syntaxe ou toute écorchure à la langue, c’est qu’il faut chercher encore.

Chercher jusqu’à ce que la langue nous montre le chemin qu’il faut suivre. Quand nous aurons trouvé la formule qui respecte la langue et les attentes de l’annonceur qui fera bouger le public, alors nous aurons une publicité gagnante sur tous les plans. (…)

Le bon usage de la langue suscite parfois certaines appréhensions chez les annonceurs, qui craignent de ne pas être compris. On doit alors leur conseiller les bons mots ou les bonnes formules et leur faire valoir le choix du bon français.

Les mentalités changent lentement, mais de plus en plus de gens d’affaires se soucient de la qualité du français dans leurs pubs. Bien sûr, il reste encore beaucoup de travail à faire! Par exemple, dans le domaine de l’automobile, on a presque éliminé le mot "balancement" au profit d’"équilibrage"; la "vidange d’huile" déloge peu à peu le "changement d’huile"; par contre, le "parallélisme" ne réussit pas encore à prendre la place de l’"alignement".

Il est vrai que, pour obtenir la satisfaction du client, on tend quelquefois à plier sur certains aspects de la langue. C’est dommage, mais il faut y aller doucement. S’affirmer sans s’imposer et démontrer noir sur blanc au client les avantages à respecter la langue, il cédera!

(…)

Recommandations

Je recommande, ou plutôt je souhaite, qu’une excellente connaissance du français soit l’un des premiers critères d’embauche des professionnels de la publicité. On ne s’improvise pas rédacteur-concepteur.

Je recommande que l’on hausse le niveau des cours de français dans les programmes de communication ou qu’on en ajoute s’il en manque. Mais, de grâce, n’en retranchons pas! (…)

Je souhaite que la langue française soit pour tous les professionnels de la communication du Québec bien plus qu’un outil de travail. Qu’elle soit le legs le plus précieux à offrir à toutes les générations qui nous suivront.